La Garde au Feu ouvrage de Dimitri Gorchkoff

GORCHKOFF (Dimitri). La Garde au feu! Императорская гвардия Наполеона в период отступленя 1812 г.: состояние, эффективность и межполковая коммуникация [La Garde Impériale de Napoléon pendant la Retraite de 1812 : Statut, efficacité et communication inter-régimentaire], Moscow: Zebra E, 2022, volume 1 (618 pages), volume 2 (439 pages); ISBN 978-5-907486-63-8

Alors que nous venons de voir se terminer la grande séquence des ouvrages consacrés à Napoléon dans le cadre des commémorations du bicentenaire de sa mort, il est toujours plaisant de recevoir un ouvrage de qualité qui renouvelle l’étude des armées impériales. Comme le laissait entendre le professeur Jean Tulard en 2014, 80 000 livres ont été consacrés à Napoléon, soit plus d’un par jour depuis sa mort le 5 mai 1821 : en consultant les registres de la BNF, on découvre par moins de 18 000 ouvrages contenant « Napoléon » dans le titre (y compris ceux relatif à Napoléon III).

Comme cela arrive souvent, il faut chercher dans les études réalisées aux Etats-Unis (Samuel F. Scott, George Nafziger) et à présent en Russie pour avoir une approche historique et universitaire de l’organisation et de la vie d’un régiment de la période impériale. Le professeur André Crovisier avait initié l’étude de l’armée de Louis XV en faisant l’analyse par sondage des registres matricules, Dimitri Gorchkoff, docteur de l’université de Saint-Pétersbourg, attaché au Musée Historique d’Etat de Moscou, qui a eu l’extrême bienveillance de s’intéresser à mes modestes travaux sur le 5e régiment de hussards [MASSONI (Gérard-Antoine), Histoire d’un régiment de cavalerie légère, le 5e Hussards de 1783 à 1815, Paris, Editions Archives et cultures, 2007, 438 p. ISBN 978-2-911665-90-5] , renouvelle l’étude des deux régiments de chevau-légers-lanciers de la Garde Impériale en exploitant les registres matricules de ces régiments en utilisant l’apport des outils numériques.

Le mérite de Dimitri Gorchkoff est d’avoir mené à bien ce même travail de recherche sur la brigade du général Edouard de Colbert-Chabanais en le focalisant sur le combat du 25 octobre 1812 à Borovsk contre la brigade de Cosaques du général Dimitri Kuteinikov. Il y intègre de surcroit sa très vaste connaissance de l’iconographie et de l’uniformologie de cette période.
Sa thèse se présente en deux volumes (618 pages pour le volume 1 et 439 pour le volume 2). La nature même des recherches de Dimitri Grochkoff implique à la base un travail de recherche à travers les archives françaises, polonaises (1e régiment de chevau-légers-lanciers polonais,), néerlandaises (2e régiment de chevau-légers-lanciers) et russes. Ce travail d’histoire comparée est une des grandes qualités de cette étude.
Les premiers chapitres du volume 1 décortique la composition exacte de ces deux régiments, avec les états de service de tous les officiers et la réalité des effectifs (chapitre 2), l’étude précise du combat du 25 octobre 1812 contre les quatre régiments du général Kuteinikov, avec la perte complète du service topographique de la Grande Armée (chapitre 3) et l’analyse des pertes de chaque camp (chapitre 4). Les conséquences du combat du 25 octobre 1812 sont abordées dans le 5e chapitre, qui selon Dimitri Gorchkoff transforme le mouvement rétrograde de la Grande Armée privée de ses cartes en retraite désordonnée. Le 6e chapitre est particulièrement intéressant car il étudie la dégradation de communication entre le 1er et le 2e régiment de chevau-légers-lanciers en tenant compte des différences sociales et physiques des deux unités, le 7e chapitre tentant d’expliquer les différences entre ces deux régiments abordés à travers l’historiographie française, polonaise ou néerlandaise. L’étude uniformologique des deux régiments est abordé dans le 8e chapitre.
Le 2e volume est principalement un support qui appuie les analyses du 1er volume et complète utilement les connaissances sur les deux régiments étudiés : d’abord en présentant le manuscrit des mémoires du général Pierre d’Autancourt, major du 1er régiment de Chevau-légers-Lanciers, détenu au Service Historique de la Défense à Vincennes, puis en analysant les portraits, tableaux et miniatures représentant les officiers des deux régiments étudiés, mais aussi les pièces d’uniformes des Chevau-Légers-Lanciers conservées dans les collections européennes et principalement les réserves des musées russes. Une présentation comparée des différentes cartes des lieux du combat termine ce volume.
Ainsi, à travers l’étude d’un combat généralement occulté, perçu comme une action secondaire de la bataille de Malojaroslawetz du 24 octobre 1812, Dimitri Gorchkoff exploite les mémoires, les écrits, les comptes rendus, les archives administratives et croise les regards de quatre pays sur cet événement (France, Pologne, Pays-Bas, Russie) et balaye les erreurs généralement colportées depuis 200 ans par des auteurs qui ne sont pas historiens. Son travail sera surement une référence pour renouveler l’étude de l’histoire régimentaire de cette période, dès sa publication nécessaire en français ou en anglais.

Gérard-A. MASSONI