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l'Intriguant, révélations sur Louis XVI

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l'Intriguant, révélations sur Louis XVI Empty l'Intriguant, révélations sur Louis XVI

Message  Jérôme C. Sam 10 Oct - 19:46

voici un texte que mon camarade David Gaussen, auteur du très bon "qui a écrit le roman national"

Il y a quelques années Aurore Chéry a co-signé un livre qui s'en prenait aux "Historiens de garde". Il leur était reproché de faire la promotion du "roman national", c'est-à-dire de l'histoire de France et particulièrement de ses rois. Leur défaut était aussi de privilégier le sensationnel et d'accorder trop d'importance aux grands hommes. Et voici que sept ans plus tard, elle signe la biographie d'un roi de France (Louis XVI) rempli de "révélations". La plus sensationnelle est qu'il avait une maîtresse et l'argument principal du livre est qu'il a maîtrisé, quasiment seul, le cours de l'histoire de son règne.

Il est bien dommage qu'Aurore Chéry fasse partie des historiens pour qui il n'y a pas de plus grand déshonneur que de collaborer à une émission de Stéphane Bern, car elle lui aurait livré là un formidable "secret d'histoire", même si sa démarche évoque plutôt celle d'un autre des "historiens de garde" vilipendés naguère, à savoir Franck Ferrand situant Alésia là où elle n'a jamais été. Mais le livre est d'une originalité qui dépasse tous les modèles.
Le dessein affiché en ouverture de resituer le règne de Louis XVI et les débuts de la révolution dans le contexte géopolitique issu de la guerre de Sept ans est non seulement légitime mais pertinent. De même que la thèse selon laquelle le but constant de Louis XVI aura été de se libérer de la triple emprise de l'aristocratie, de l'église et de la maison des Habsbourg, méritait d'être défendue. Que ce roi avait pour cela constamment cherché à réformer en profondeur son royaume en était le corollaire naturel. Dans cet esprit, il était audacieux mais acceptable de suggérer que c'est par refus de l'alliance autrichienne que le roi se déroba longtemps à des rapports sexuels "complets" avec Marie-Antoinette dans le but de faire annuler le mariage et donc l'alliance qui allait avec. De même la collusion entre Louis XVI et les Girondins au moment de la déclaration de la guerre contre l'Autriche pouvait raisonnablement s'interpréter dans ce même sens. Si tout avait été de cette eau, le livre aurait appartenu au genre identifié des biographies à thèse, souvent plus intéressantes lire que celles qui se contentent d'être de bonne synthèses.

Mais en mettant en scène une maîtresse de Louis XVI, espionne protestante de surcroît, Aurore Chéry ruine toute possibilité d'être prise au sérieux. On a à peine besoin du renfort de Jean Clément Martin [voir en commentaire] pour comprendre que Françoise, épouse du peintre de cour d'origine cévenol Joseph Boze, non seulement n'a jamais eu de liaison avec le roi, mais n'a peut-être même jamais attiré son attention. Qu'elle n'ait pas attiré celle des historiens n'étonne pas outre-mesure la biographe: étant une femme elle a été "invisibilisée"; et elle s'est "beaucoup invisibilisée elle-même parce qu'elle exerçait une profession, espionne, qui exigeait une grande discrétion". Pourtant à l'époque, tout le monde était au courant: figurez-vous que Les Liaisons dangereuses et Le Mariage de Figaro sont des transpositions littérales du royal adultère!

Malheureusement, cette histoire de maîtresse "espionne", n'est pas marginale. Non seulement elle revient comme un running gag tout au long du livre (ainsi Louis XVI tout heureux d'être emprisonné au Temple, car sa Françoise habite le quartier), mais tout ce qui y est avancé l'est avec cette même assurance déconcertante.

Car le Louis XVI qui nous est présenté n'est pas seulement un homme des Lumières, mais un chef révolutionnaire professionnel. Il a en effet une manie: fomenter des insurrections. C'est ainsi lui qui, ayant nommé Turgot au ministère, met en scène la guerre des farines ("la ruse des farines", écrit l'autrice). Turgot était un libéral de droite, tandis que Louis XVI était un homme de gauche qui l'avait nommé pour qu'il échoue (il l'avait "prévu"). De même, on le sait peu, Louis XVI aurait souhaité raviver la guerre dans les Cévennes: "Concrètement, si Rome envisageait de l'excommunier parce qu'il répudiait Marie-Antoinette, il pourrait menacer de réveiller la révolte protestante". La France était trop étroite pour cet internationaliste: où que ce soit en Europe qu'éclatât une émeute, il était à son origine. "Il fallait à tout prix empêcher Louis XVI de fomenter une nouvelle insurrection", lit-on à la page 344.
Aurore Chéry, qui dédie l'ouvrage à ses "amis beylistes" voit en Louis XVI un personnage stendhalien: dans ses dernières heures, "comme Julien Sorel, il brûlait probablement de dire : 'Je me trouve justement condamné'". Je vois plutôt dans le roi qu'elle décrit un personnage tragiquement burlesque. Comme le Karl Rossmann de L'Amérique de Kafka, il est parfaitement inconscient des malheurs qui lui arrivent et des humiliations qu'on lui fait subir, et pense au contraire maîtriser parfaitement les événements. Stoïque comme Buster Keaton, il semble aussi indifférent à son sort qu'à celui du monde qui s'écroule autour de lui. Il ne prend pas ombrage des premiers pamphlets qui l'attaquent, lui et la reine, puisque, selon Aurore Chéry, il en est le commanditaire: et même "il prenait soin de s'y laisser égratigner, afin d'éloigner les soupçons." De même, s'il donne le Trianon à la reine et y fait pour elle des dépenses colossales, c'est pour la rendre impopulaire. Il n'est pas benêt, "il joue le benêt". Quand on se moquait de lui, farceur, "plus Louis XVI avait l'air fâché (…) plus il y avait des chances qu'il s'agisse d'une comédie".

La révolution est entièrement l'oeuvre de Louis XVI, selon sa biographe. Son objectif "était de laisser penser qu'il voulait une révolution permettant de rétablir la situation du règne d'Henri IV, c'est-à-dire réaffirmant la place des protestants et des parlements contre une noblesse de cour". Mais en réalité, il "voulait beaucoup plus, et cette révolution qu'il laissait entrevoir n'était que le prélude, volontairement voué à l'échec, d'une révolution de tout autre ampleur".

Cet axiome se vérifie à chaque étape du processus révolutionnaire. Louis XVI a "anticipé" et "désiré" l'echec de l'Assemblée des notables de 1787. Puis a réuni les états généraux pour provoquer la révolution, et non pour de quelconques problèmes financiers, qui ne semblent pas être venus à la connaissance d'Aurore Chéry: "l'urgence financière (...) était prétendument la raison d'être de cette réunion". Il encourage la proclamation de l'assemblée constituante; il organise la prise de la Bastille, puis la marche des femmes du 5 octobre (c'est pour cela qu'on l'a caricaturé en femme nymphomane et non pour se moquer de lui). Il cherche ensuite à fuir Paris pour mieux diriger la révolution, mais, trahi par son frère le futur Louis XVIII (et par Fersen: mais, qu'on se rassure, ce dernier sera assassiné par la bonne Françoise Boze en 1810 à Stockholm), il est "soulagé" de se faire arrêter à Varennes. Cela lui permettra de provoquer la prise des Tuilleries: Feu sur le quartier général! Aurore Chéry n'invoque pas Mao, mais on y est presque. Sitôt rentré dans la capitale, il se rend au Temple "se confiner douillettement dans une garçonnière, en attendant qu'on ait liquidé ses ennemis" et où des gardes bienveillants assurent sa protection. Il est donc très satisfait des massacres de septembre, regrettant seulement la mort de la princesse de Lambale (une bonne copine). Il n'est pas surpris par la victoire de Valmy (une "fausse bataille"), puisqu'il en est l'initiateur: "La victoire avait été décidée depuis bien longtemps". Il applaudit à la proclamation de la république, mais c'est là (seulement) que ses ennuis commencent: ses amis républicains prétendent maintenant se passer de lui. Toutefois, ils se réjouit de la perspective de son procès dans lequel il voit l'occasion de se justifier et de se débarrasser enfin de Marie-Antoinette. Condamné à mort, son avocat Malesherbes lui propose de s'évader en Amérique (avec Françoise!), mais, pour sauver la révolution, il préfère accepter la mort en posant les bases d'une religion civique dont il serait l'objet du culte: "Louis pensa peut-être que Robespierre était le seul digne d'être son successeur, le seul à être assez vertueux."
La Nation est bien désolée de ce triste dénouement et déclare la guerre à l'Angleterre "pour venger Louis". Les Français sont effondrés par la mort de leur guide suprême, mais ils ne le montrent pas: "le pleurer publiquement, c'était risquer de donner raison à l'Angleterre et aux royalistes."

Ainsi de bout en bout, Louis XVI aura été maître de son destin. Et de celui de son pays. Car voila ce qu'il y a de plus rétrograde du point de vue de la science historique: Aurore Chéry soutient que "sous l'apparence de processus libres, la Révolution devait être sous contrôle" et qu'elle l'a été. Aurore Chéry rejette ainsi Michelet qui "élabora un premier roman national qui plaçait le peuple au coeur des évènement": "si l'on présente la Révolution comme un mouvement spontané du peuple, on ne peut pas lui supposer d'objectif politique précis." L'historienne affirme carrément que "cette révolution a été voulue et pensée par un ou plusieurs individus". Ce faisant, elle contredit le propos de son livre de 2013, dans lequel ses co-auteurs et elles reprochaient aux "historiens de garde" de laisser penser que l'histoire était l'oeuvre de grands hommes. Elle annihile les acquis de ce que j'ai nommé peut-être pompeusement "l'invention de l'histoire nationale" dans la période post-révolutionnaire. C'est précisément parce que la révolution avait démontré que le roi n'était pas l'acteur principal de l'histoire mais que c'était la nation, que des historiens comme Michelet ont élaboré une nouvelle manière d'écrire l'histoire qui prenne en considération toutes les composantes de la société. Cette conception de l'histoire comme processus collectif est ici clairement niée.
Etait-ce la peine de gronder si sévèrement Lorànt Deutsch si c'est pour affirmer que Louis XVI a "choisi" la date du 14 juillet pour faire prendre la Bastille parce que c'était la date anniversaire de la guerre des farines!

Tout ceci peut sembler déroutant, ça n'en est pas moins très original. Ordinairement les ouvrages d'histoire secrète prétendant présenter des "révélations" ont trois caractéristiques: 1/ils sont l'oeuvre d'historiens amateurs; 2/ ils traitent d'un nombre assez restreint de sujets (l'ascendance ou le genre de Jeanne d'Arc, le masque de fer, la survivance de Louis XVII, etc.); 3/ ils portent (pas toujours mais souvent) un message réactionnaire ou plutôt de droite. La grande originalité de ce livre est qu'elle est l'œuvre d'une historienne professionnelle chercheuse associée au CNRS, qu'il traite d'un sujet jusque-là complètement ignorée par l'histoire secrète (même Alexandre Dumas n'a jamais donné de maîtresse à Louis XVI ni n'en a fait un chef révolutionnaire) et enfin il prétend défendre une position progressiste.

Le cas est nouveau et franchement singulier. Peut-être est-il une déclinaison de cette nouvelle "écriture subjective de l'histoire" décrite par Enzo Traverso dans son dernier et excellent essai: une écriture dans laquelle la frontière entre histoire et fiction est de plus en plus ténue et qui est fortement marquée par le moi de l'historien. Certes Aurore Chéry ne fait pas oeuvre d'autobiographie, mais elle impose sa subjectivité comme une source du récit. Cela est particulièrement saillant dans le chapitre consacré sa "découverte" de Françoise Boze ("Je soupçonnais depuis longtemps que Louis XVI avait eu une maîtresse (...) parce qu'il est étonnant qu'un roi n'ait pas de maîtresse"), mais transparaît aussi dans toutes les explications étonnantes dont elle émaillent son récit.

Aurore Chéry nous apprendra peut-être dans quelque temps qu'elle a produit un canular. J'avoue que j'y ai souvent pensé au cours de ma lecture et que je le souhaite sincèrement. Dans le cas contraire je suis curieux de voir comment évoluera sont travail et si cette historiographie d'un genre nouveau fera école. En espérant que Françoise Boze et son étrange Louis XVI ne soient pas son Alésia.

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Message  Jérôme C. Sam 10 Oct - 19:51


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Message  Jérôme C. Sam 10 Oct - 20:00

ce qui me laisse plus songeur et perplaxe quand à la liberté de consience et d'expression, c'est que cette auteur est "Membre du Conseil d'administration du CVUH (Comité de Vigilance face aux Usages Publics de l'Histoire)" ... soutenu et relayé par les Insoumis
http://www.gauchemip.org/spip.php?article4586

sorte de soviet qui dit ce qu'il faut utiliser dans l'Histoire ou pas ... un peu comme quelles statues il faut garder ou pas ... et quelle personne à le droit de parler ou pas

Moi a qui on m'avait apprit l'objectivité des écrits on est mal

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