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les minorités religieuses et la Révolution : les protestants

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les minorités religieuses et la Révolution : les protestants Empty les minorités religieuses et la Révolution : les protestants

Message  Jérôme C. Dim 24 Oct - 6:59

Quand le Roi-Soleil mourut à Versailles, en 1715, tous ses sujets étaient catholiques. Vivaient bien en France quelques centaines de milliers d’hommes et de femmes qui affirmaient ne l’être pas, mais ils avaient tort : la monarchie leur déniait tout simplement l’existence. Ils n’avaient pas accès à l’état-civil et n’étaient protégés par aucune loi du royaume : des fantômes...

Sur la terre de la royauté sacrale et du pouvoir absolu de droit divin, il était difficile que fût reconnue la possibilité d’une pluralité religieuse : depuis le baptême mythique de Clovis par Saint Rémi, la France était pays catholique et rien d’autre. Tous les hommes se réclamant d’une autre religion que celle sur laquelle s’appuyait le système politique étaient de trop dangereux ferments de contestation pour être chez eux au Royaume des Lys. Ce n’était pas pour rien que le jour du sacre, le Roi jurait d’extirper du royaume toute hérésie... En fait d’hérésie, les cathares exterminés, les vaudois détruits, qui restait-il ? L’ébranlement de la Réforme, qui avait entraîné une guerre civile sans précédent, avait laissé en France une assez forte minorité protestante : sa coexistence avec les catholiques n’avait pu survivre longtemps au « bon Roi Henri » qui en avait jeté les bases dans l’Edit de Nantes. Louis XIV l’avait rayée d’un trait de plume moins d’un siècle après que son grand-père lui eût accordé droit de cité en France. Subsistaient également quelques groupes de Juifs, que le pouvoir royal tolérait et parfois protégeait au prix fort, bien qu’en théorie les « déicides » eussent été chassés de France par Philippe le Bel au XIVème siècle.

Il fallut attendre la Révolution Française, et la remise en cause radicale de la monarchie de droit divin pour que les membres des minorités religieuses puissent bénéficier de l’égalité en droit avec les catholiques.


I. LES PROTESTANTS



1. Avant 1789

Depuis 1685 et le remplacement de l’Edit de Nantes par l’Edit de Fontainebleau, les adeptes de la Religion Réformée étaient des proscrits en France. En théorie, ils n’existaient pas. Dans la pratique, ils survivaient dans une semi-clandestinité. La période 1685-1787, appelée dans l’historiographie du protestantisme la période « des déserts* », avait vu les Eglises Réformées de France, vouées à la destruction, passer « au désert », c’est-à-dire devenir occultes. Le culte avait été remplacé par la tenue d’ « Assemblées » secrètes où les fidèles allaient entendre les pasteurs lire et commenter la Bible*. La persécution systématique de ces activités clandestines, sous Louis XIV, est bien connue : dragonnades et conversions forcées, emprisonnements dans les prisons royales (en 1685, la Bastille contenait plus d’une centaine de réformés enfermés pour leur foi) et surtout dans les Hôpitaux Généraux, déportations de Languedociens aux Antilles, envois aux galères, confiscation des biens... De 1702 à 1709, la guérilla d’inspirés que menèrent les paysans cévenols las d’être écrasés, dite « guerre des camisards », avait effrayé le pouvoir à tel point qu’elle l’avait conduit, après une des plus vastes opérations de répression de l’Ancien Régime, le « Grand Brûlement des Cévennes », à adopter certains adoucissements dans sa politique d’oppression. Adoucissements très limités, et sans le moindre reniement du choix de Louis XIV : en 1724, la déclaration Royale avait entièrement confirmé l’Edit de Fontainebleau, et sous Louis XV on allait encore souvent au bagne ou en prison parce qu’on refusait de devenir catholique*.

Jusqu’à la Révolution, environ 10 000 protestants furent victimes de la répression, environ 200 000 émigrèrent. Le protestantisme « résista » malgré tout, et des prédicants du Désert à la révolte active menée par Mazel, Roland et Cavalier, puis à l’organisation pacifique et clandestine des Eglises par Antoine Court et Paul Rabaut* à partir de 1719, les « obstinés religionnaires », comme on les appelait, se maintinrent vaille que vaille en France.

Après 1760, les choses commencèrent à changer. Le tournant fut probablement l’affaire Calas. La défense par Voltaire de ce protestant condamné à la roue par le parlement de Toulouse donna consistance à l’idée de tolérance religieuse. Louis XV dut abandonner peu à peu le système de répression violente. Le progrès furent très lents : des dragonnades avaient encore eu lieu dans les années 1750, et les derniers grands procès en hérésie datent de 1762 : les persécutions proprement civiques (enlèvement d’enfants, baptêmes forcés) ne cessèrent jamais complètement. Mais le pouvoir royal commença à multiplier les concessions, et en 1787 fut enregistré, après bien des efforts et des difficultés, l’Edit de tolérance : rédigé par Malesherbes et Rabaut-Saint-Etienne, il accordait enfin aux protestants le droit de faire constater civilement naissances, mariages et décès. Aucun autre droit ne leur était offert : il leur était toujours interdit de se réunir en corps, aucune fonction officielle n’était reconnue aux pasteurs, et bien entendu toutes les charges, les places et les offices restaient strictement interdits aux non-catholiques (il existait des dérogations). Malgré cette modération extrême dans le progressisme, l’Edit fut refusé par plusieurs parlements (ceux de Grenoble, de Rennes, de Toulouse) et le Clergé adressa à Louis XVI des remontrances qui recommandaient notamment l’interdiction explicite du culte protestant*. Le roi n’en tint heureusement aucun compte et à la veille de la Révolution, les quelques 500 000 protestants de France acquirent un commencement d’existence légale.


2. L’accès à la citoyenneté

Les cahiers de doléance, qui préparèrent la Révolution, n’accordaient pas beaucoup d’importance à la question protestante : sur 438 cahiers, 152 traitent la question (85 du Clergé, 32 de la Noblesse et 35 du Tiers). Les cahiers des villages et des bourgs n’en font pas mention ou presque. Ceux des bailliages et des sénéchaussées sont plus explicites, pas toujours dans un sens progressiste : les cahiers du Clergé réclament souvent (64 cas sur 85) la suppression de l’Edit de Tolérance, et lorsqu’ils l’acceptent, ils demandent l’interdiction du culte, voire carrément la répression armée, à la Louis XIV, contre les Assemblées protestantes encore clandestines. Les cahiers de la Noblesse sont plus libéraux : globalement ils approuvent l’Edit, et cinq d’entre eux réclament même l’accès des protestants à l’Ordre de Saint-Louis. Les cahiers du Tiers sont très peu nombreux à mentionner le protestantisme, mais trois se risquent à demander une entière liberté de conscience et la liberté du culte, et onze réclament la restitution des biens confisqués aux descendants des protestants spoliés.

Néanmoins les protestants prirent une part active à la préparation des Etats Généraux et nul ne les en empêcha. Plusieurs d’entre eux participèrent aux Assemblées primaires, furent élus commissaires ou rédacteurs des Cahiers. Sur les députés du Tiers, quelques-uns furent des protestants : les plus connus sont Rabaut Saint-Etienne, Gallot, Nairac, Barnave, Boissy d’Anglas, Chambon-Latour, Voulland*.

La révolution fut rapide en ce qui concerne l’intégration à la nation des adeptes de la religion réformée. Le 22 août 1789, l’Assemblée vota l’article X de la Déclaration des Droits de l’Homme, qui établissait la liberté de culte en France. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public. » Le 24 décembre 89, lors de la séance houleuse où fut examiné l’accès des non-catholiques à tous les emplois civils et militaires, la question des protestants fut réglée sans véritable débat. Il n’en fut pas de même des juifs... Le 3 septembre 91 fut voté l’article constitutionnel garantissant « comme droit naturel et civil la liberté d’exercer le culte religieux auquel le citoyen est attaché ». Les biens confisqués aux protestants fugitifs sous Louis XIV et Louis XV furent rendus à leurs ayant-droit, notamment en Alsace, par le « décret concernant les biens des religionnaires fugitifs », voté le 10 juillet 1790 ; enfin, la « Loi Barère » rendit la citoyenneté française aux descendants des « expatriés pour cause de religion ».

Les assemblées clandestines n’avaient plus lieu d’être, et les synodes réapparurent au grand jour. Certains prêtèrent le serment civique en corps : ainsi les pasteurs du Bas-Languedoc jurèrent-ils, en mai 1790, « d’être fidèles à la Nation, à la Loi, au Roi, et à la Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et sanctionnée par le Roi ». De nombreuses sociétés et compagnies protestantes apparurent. Les temples furent rouverts, dans des locaux loués ou achetés, parfois dans des lieux catholiques vendus ou désaffectés. Ainsi le 22 mais 1791, la Communauté protestante de Paris, sous la direction du pasteur Marron, célébra-t-elle le premier culte public à Paris depuis le XVIème siècle dans l’église Saint-Louis du Louvre. Ce fut un événement auquel assistèrent de nombreuses personnes : les protestants reçurent des marques de sympathie du public heureux du retour à la liberté de conscience.

D’autres célébrations symboliques eurent lieu : à Strasbourg, le 13 juin 1790, on procéda à un double baptême où officiaient ensemble un prêtre catholique et un pasteur protestant. Les nouveaux-nés étaient portés par leurs marraines respectives : l’épouse du maire, catholique, et celle du procureur, protestante. Les deux officiants se donnèrent après la cérémonie le « baiser de paix et de fraternité ». Le baptême civique suivit aussitôt, et les gardes nationaux déployèrent le drapeau de la fédération au-dessus des bébés : le catholique reçut le doux nom de Fédéré, tandis que le protestant portait désormais celui de Civique. La foule applaudit à tout rompre… Dans le Gard, qui avait vu la révolte des Camisards, les catholiques conduisirent les protestants à l’église en grande pompe, et le curé donna la main au pasteur pour l’aider à monter en chaire, avant de redescendre écouter son prêche parmi les fidèles des deux religions mêlés.

Les protestants prirent ensuite part à la Révolution comme le reste des citoyens français. Si quelques-uns furent contre-révolutionnaires, la plupart étaient très favorables au mouvement qui venait de les émanciper. Plusieurs des plus grands révolutionnaires furent des protestants, et en l’An II, on trouvait un pasteur (Jeanbon-Saint-André) jusque dans le sein du Comité de salut Public. Les noms illustres se répartissent dans tous les groupes : du feuillant Barnave au montagnard Rühl, en passant par les Girondins.

Le protestantisme fut atteint par la déchristianisation de 93 : sur 215 pasteurs dans le département du Gard, on compte 98 abdications. A la Convention, le pasteur Julien de Toulouse abdiqua solennellement de sa charge, à la suite de l’archevêque Gobel. Le culte s’interrompit fréquemment, et des pasteurs jacobins transformèrent des temples en club des Amis de la Constitution. Néanmoins le protestantisme renaissant supporta plutôt bien la tourmente révolutionnaire. Les protestants furent en général très impliqués dans la Révolution, et fort Républicains : ils firent en revanche grise mine à Napoléon, et eurent de quoi s’arracher les cheveux à la restauration. L’année 1815 vit à la faveur de la Terreur blanche des pogroms anti-protestants dans le Gard, surtout à Nîmes, qui avait déjà déploré des affrontements entre protestants et catholiques au début de la Révolution. Les temples furent pillés, et quelques dizaines de personnes massacrées. Le pouvoir royal encore mal assuré laissa d’abord faire, avant de reprendre les choses en main.

La Révolution avait malgré tout porté ses fruits pour les protestants : leur statut de citoyens et leurs droits ne devaient plus jamais être remis en cause en France.

© Claudine Cavalier
Notes et Archives 1789-1794


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Par définition un historien se doit d'éclairer certaines zones d'ombres du passé. Ayant de droit accès à toutes les archives ouvertes, il s'appuie sur ses recherches pour délivrer ses résultats, quitte à briser quelques clichés.

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