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les biens nationaux

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Message  Jérôme C. Mar 5 Oct - 8:48

Avec la mise en place de la Constitution Civile du Clergé, le 12 juillet 1790 et le la sécularisation des biens de l’Eglise, le 2 novembre 1789, la Nation Française récupère une masse de biens fonciers et immeubles extraordinaire. Ces biens nationalisés les 19 décembre 1789 et le 28 décembre 1793 forment les biens nationaux. Ces biens sont de deux origines, les biens de premières origines, ceux du clergé et ceux de seconde origine, ceux des émigrés et des condamnés. Les biens de premières origines représentent une fortune colossale, peut être 20% des terres du royaume. Sur proposition de Mirabeau, ils sont mis à le disposition de la Nation et vendus en exécution des décrets des 13 mai et 16 juillet 1790 comme biens nationaux. Les biens de seconde origine sont créés le 1er janvier 1792. Ce sont les biens des personnes émigrés, au 31 octobre 1791 qui ne seront pas rentrées au bout de deux mois. A ces biens s’ajoutent ceux des personnes condamnées pour crimes contre-révolutionnaires. Les biens des émigrés sont mis en vente avec les décrets du 2 septembre 1792 et du 3 juin 1793. A partir du 4 avril 1795, les biens des condamnés sont restitués. Il faut attendre 1802, pour que Bonaparte proclame la restitution des biens des émigrés non vendus. La somme totale des biens nationaux représente 6 milliards de livres. Ils seront mis en vente jusqu’en 1825. Cette mise en vente permet de doubler le nombre de propriétaires terriens en France durant la Révolution et l’Empire.

Archivistiquement la série Q, bien que série moderne, couvre la période 1790 à 1940., englobant la Révolution. La série Q des Archives Départementales est constituée de quatre sous série.
1Q : administration des biens nationaux confisqués en application des lois révolutionnaires. C’est là que l’on retrouve la propriété foncière de l’église et d’une partie de la noblesse et de la bourgeoisie sous l’Ancien-Régime.
2Q : Administration des domaines par la préfecture.
3Q : Bureaux d’enregistrement.
4Q : Conservation des hypotyhèques.
La sous série 1Q est en partie classée et un inventaire tapuscrit sommaire permet une navigation attentive dans ce fonds. On y trouve les ventes des biens nationaux par districts et par commune, avant et après le 28 ventôse an IV.
On y trouve des estimations et des procès verbaux d’adjudication des biens du culte.

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Par définition un historien se doit d'éclairer certaines zones d'ombres du passé. Ayant de droit accès à toutes les archives ouvertes, il s'appuie sur ses recherches pour délivrer ses résultats, quitte à briser quelques clichés.

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Message  Jérôme C. Mar 5 Oct - 8:54

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Chronologie simplifiée de la législation des biens nationaux
1789
2 novembre. Les biens du clergé sont mis à la disposition de la Nation.
“ L'Assemblée nationale décrète :
1° Que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir, d'une manière convenable, aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres, et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d'après les instructions des provinces;
2° Que dans les dispositions à faire pour subvenir à l'entretien des ministres de la religion, il ne pourra être assuré à la dotation d'aucune cure moins de 1 200 livres par an, non compris le logement et les jardins en dépendant. ”
7 et 14 novembre. Décrets confiant aux assemblées locales et aux services des Eaux et Forêts la surveillance des biens de l'Église. Cette surveillance doit surtout s'exercer sur les biens mobiliers, les titres, les récoltes et les bois qui dans cette période de transition sont menacés d'être livrés au pillage.
13 novembre. L'Assemblée décrète l'inventaire des biens de l'Église.
19 et 21 décembre. Décrets ordonnant la mise en vente des biens de l'Église et de la Couronne mis à la disposition de la nation jusqu'à concurrence de 400millions de livres. Les ventes devront passer par l'intermédiaire des municipalités. Ces décrets prévoient également de conserver dans le domaine de l'État certaines forêts, ainsi que “ des forêts et des maisons royales dont sa Majesté voudra se réserver la jouissance ”.
1790
5 février. Décret ordonnant la suppression des maisons de religieux de chaque ordre en n'en laissant subsister qu'une seule par municipalité, “ en attendant des suppressions plus considérables ”.
13 février. Décret supprimant les ordres religieux en France. Les religieux ne désirant pas retrouver leur liberté pourront se réunir dans quelques maisons conservées à cet effet17.
19 février. Décret fixant entre 700 et 1 200 livres les pensions à accorder aux religieux.
14-20 avril. Décret déléguant la gestion des biens non affermés aux directoires de districts et de départements.
14 mai. Modalités de vente des biens de l'Église et de la Couronne. Les terres seront vendues aux particuliers au chef-lieu de districts, aux enchères et payables en 12 ans. Le morcellement des biens est préconisé.
25-29 juin. Extension des ventes au-delà des 400 millions initialement prévus. Les municipalités ne sont plus prioritaires pour l'achat des terres. Les particuliers peuvent les acquérir directement auprès des directoires de districts.
6 août. Décret excluant des ventes les forêts et les bois d'une superficie supérieure à 100 arpents, soit approximativement 50 hectares.
25 août. L'Assemblée prie le roi d'indiquer les biens qu'il souhaite conserver au titre de la liste civile. Dans un premier temps Louis XVI désire conserver un très grand nombre de propriétés. Face à l'indignation soulevée il doit diminuer ses exigences. Le 26 mai 1791, les députés adoptent une liste limitée au Louvre, aux Tuileries, à Versailles, Saint-Cloud, Saint-Germain-en-Laye, Rambouillet, Fontainebleau, Compiègne et le château de Pau, ainsi que les domaines et les bois qui dépendent de ces résidences. Ces dépendances sont loin d'être négligeables puisqu'elles produisent un revenu annuel d'un million de livres.
17 octobre. Les biens mobiliers des églises et des monastères sont mis sous scellés.
2-17 novembre. Décrets modifiant les dispositions du mois de mai. La vente des biens devra être effectuée par domaine entier, sans morcellement préalable, mais en favorisant au contraire les regroupements.
20 décembre. Décret soustrayant de la vente des biens de l'Église, chaque fois que cela sera possible, un logis convenable qui servira de presbytère au prêtre de chaque paroisse ainsi qu'un demi arpent de terre qui lui servira de jardin.
1792
l9 février. Décret imposant le séquestre des biens des émigrés.
30 mars. Décret confisquant les biens de tous les émigrés absents de France depuis le premier juillet 1789.
27 juillet. Adoption du principe de la vente des biens des émigrés.
4 et 7 août. Décrets supprimant effectivement les congrégations religieuses.
14 août. Décret, sur proposition de François de Neufchâteau, d'aliéner les biens des émigrés par lots de deux à quatre arpents payables sous forme de rentes perpétuelles rachetables. Les enchères doivent être ouvertes sur chaque lot pour fixer le montant de la rente. La préférence est donnée à l'enchérisseur qui propose le rachat immédiat, avantageant ainsi les acheteurs fortunés.
18 août. Décret supprimant les congrégations séculières.
2 septembre. Adoption du principe de la division mais sans imposer la limite des quatre arpents. L'administration des districts est seule habilitée à fixer les limites du morcellement “ le plus utilement possible ”.
11 novembre. La vente des biens nationaux est suspendue.
1793
9 janvier et 4 mars. Débats entre Girondins et Montagnards sur le morcellement effectif des biens des émigrés.
18 mars. Décret punissant de mort “ quiconque proposera une loi agraire ou toute autre subversive des propriétés territoriales, commerciales et industrielles ”.
24 avril. Condamnation des coalitions d'acheteurs.
3 et 10 juin. Décrets sur le lotissement des biens des émigrés. Les chefs de famille possédant moins d'un arpent de terre doivent recevoir une parcelle d'un arpent contre une rente de 5% du prix du bien.
25 juillet. Modalités définitives de vente des biens des émigrés en reprenant l'essentiel de la législation de mai 1790.
13 septembre. Loi révoquant le décret du 3 juin et le remplaçant par l'attribution de bons de 500 livres aux patriotes indigents et aux défenseurs de la patrie.
22 novembre. Décret imposant le morcellement des biens nationaux quelque soit leur origine.
1794
26 février. A la suite des demandes des Hébertistes, le séquestre des biens des suspects au profit de la République est décidé (premier décret de ventôse).
3 mars. L'état des biens des suspects doit être effectué par les municipalités. Ces biens serviront à “ indemniser ” les patriotes indigents. (second décret de ventôse).

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Message  Jérôme C. Dim 23 Jan - 9:51

voivi un article très intéressant sur le sujet :

Éric Teyssier, «La vente des biens nationaux et la question agraire, aspects législatifs et politiques, 1789-1795», in Rives nord-méditerranéennes, Paysans et pouvoirs local, le temps des révolutions, [En ligne], mis en ligne le : 26 mars 2004. URL : http://rives.revues.org/document100.html. Consulté le 20 février 2009.

Éric Teyssier
La vente des biens nationaux et la question agraire, aspects législatifs et politiques, 1789-1795

A la veille de la Révolution, la pression démographique et le besoin de terre qui en découle rendent la question foncière cruciale dans le monde rural. Témoignage de cette “ faim de terre ”, de nombreux cahiers de doléances proposent de diviser les biens de la Couronne et des monastères en parcelles qui seraient ensuite revendues aux paysans. C'est le cas du cahier du Tiers du bailliage de Chartres qui demande la vente des biens ecclésiastiques “ autant que se faire pourra en petites portions ”1. Les cahiers du Tiers-État de la sénéchaussée de Villeneuve-de-Berg dans le Vivarais témoignent également de cet état d'esprit. Certains souhaitent ainsi que “ l'on supprime les prieurés simples et les moines rentés... qui jouissent des biens qui n'ont pas été fondés pour leur procurer une vie molle et oisive... c'est un abus révoltant pour y remédier il faudrait que les biens fonds fussent vendus ”2.

Aussi lorsque l'Assemblée Nationale décide le 2 novembre 1789 “ que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la Nation ”, elle suscite un immense espoir dans les campagnes. Les décrets fixant les modalités des ventes semblent d'ailleurs confirmer ces espérances. La loi du 14 mai 1790 affirme ainsi que les objectifs de ces ventes sont “ le bon ordre des finances et l'accroissement heureux, surtout parmi les habitants des campagnes, du nombre des propriétaires ”. Pour rendre possible cette accession à la propriété des paysans qui en sont dépourvus la division préalable des biens est indispensable.

Ce morcellement des terres est ainsi prévu par la loi du 25 juin 1790 qui le préconise “ autant que la nature le permettra ”. Pourtant, ces mesures témoignant d'une volonté de multiplier le nombre des petits propriétaires sont abrogées par les décrets de novembre 1790 qui imposent la vente des biens de l'Église en corps d'exploitation et incitent même les districts à regrouper les biens trop modestes. Lorsque les députés de la Constituante adoptent cette loi, leur objectif consiste alors uniquement à combler au plus vite le gouffre budgétaire hérité de l'Ancien Régime. Ils estiment donc nécessaire de favoriser les acheteurs fortunés issus de la bourgeoisie qui sont supposés être plus solvables que les paysans sans terre. Au-delà de ces considérations purement financières, il est probable que les députés de la Constituante ont également été sensibles aux arguments de la bourgeoisie qui s'intéresse beaucoup à ces biens que les experts inventorient depuis le début de l'année 1790. En effet, la bourgeoisie a tout avantage à enchérir sur de vastes exploitations car elle écarte ainsi des ventes de nombreux paysans, même aisés, qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour pousser les enchères au-dessus d'un certain seuil. Quant aux paysans sans terre, la non division des domaines a pour conséquence de les exclure presque totalement des ventes.

Pourtant, lorsque les premiers biens sont effectivement vendus aux enchères publiques, dès novembre 1790, la foule se presse nombreuse dans les salles de vente. Comme les domaines n'ont fait l'objet d'aucune division préalable, la déception est grande pour de nombreux paysans qui espéraient, naïvement, pouvoir emporter une part même modeste de ces terres. Dans certains districts, la volonté de favoriser les acheteurs fortunés est poussée jusqu'aux limites de la malversation. C'est notamment le cas en Ardèche dans le district du Tanargue. Dans cet exemple, les autorités regroupent systématiquement les différents lopins possédés par les curés de chaque paroisse pour les proposer en un seul lot qui est rarement acquis par un paysan. Plus grave encore, le directoire du Tanargue propose un lot de douze domaines aux enchères. Ce lot de près de 800 hectares est acquis par Jean Bernardi, négociant forain de la ville d'Aubenas, après seulement deux enchères. Il sera prouvé par la suite que Bernardi représentant d'une société d'acquéreurs occultes avait écarté les concurrents potentiels3. De tels cas ne sont pas systématiques, et le district voisin du Coiron tente au contraire de vendre les terres de l'Église sans jamais réunir les lopins dispersés.

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Message  Jérôme C. Dim 23 Jan - 9:51

Cependant, face à la loi qui les désavantage, les paysans réagissent en constituant des associations plus ou moins importantes afin de mettre leurs moyens en commun. Dans certains cas, ces sociétés de paysans font pression, parfois par la violence, parfois par l'argent, sur les enchérisseurs étrangers à leur communauté. Ces cas, observés notamment par Lefebvre dans le Cambrésis ont également eu lieu dans le Midi. C'est l'exemple de Tarascon signalé par Loutchisky 4et du Gard où 104 habitants de la commune de Pujaut réunissent 130 000livres pour l'achat d'un domaine5. C'est le cas également de l'Ardèche où l'ensemble de la commune de Soyons, maire et curé en tête se ligue pour détourner des ventes deux négociants de Valence par la menace puis par l'argent6.
Malgré cette résistance qui est parfois observée dans certaines communautés villageoises, les avantages donnés à la bourgeoisie par la Constituante, et confirmés par la Législative, laissent des marques profondes au sein de la paysannerie. Comme le soulignent Anatoli Ado et Georges Lefebvre7, la question de la loi agraire semble pénétrer de plus en plus le monde des campagnes en se cristallisant souvent autour de la question des biens nationaux. Ainsi, en mars 1791, des paysans de villages du canton de Montélimar, veulent pendre des acquéreurs de biens nationaux et obliger deux commissaires du district à ratifier l'acte de partage auquel ils ont procédé. Les autorités départementales doivent d'urgence envoyer deux compagnies et des canons de la garnison de Valence pour calmer les esprits.
A la fin de l'année 1791, la grande majorité des biens de l'Église sont déjà vendus. Comme cela était prévisible, c'est la bourgeoisie qui a pu en acquérir la plus grande part. Si la paysannerie aisée a elle aussi, mais dans une moindre mesure, pu tirer parti de ces ventes, les paysans les plus pauvres n'ont rien pu acquérir du fait du mode d'aliénation adopté. Pourtant, le débat sur les biens nationaux reprend sous la Législative avec la question des biens des émigrés. Si le débat sur la question de la vente des biens de l'Église a été rapidement tranché, la décision d'aliéner les biens des émigrés est politiquement beaucoup plus lourde de sens. En effet, l'Église en tant qu'institution “ publique ” peut raisonnablement abandonner ses biens à la Nation contre certaines compensations. Par contre, vendre les biens des émigrés constitue une appropriation par l'État de biens privés, notion choquante pour un grand nombre de députés, d'autant que cette mesure risque de constituer un dangereux précédent. Cette question de la vente des biens des émigrés est néanmoins évoquée à l'assemblée Législative dès le 10 janvier 1792 lors d'un discours de Lamarque, député de la Dordogne. Dès le l9 février 1792 l'assemblée impose le séquestre de leurs biens. Le 30mars, à la veille de la déclaration de guerre, la Législative décrète la confiscation des biens de tous les émigrés absents de France depuis le premier juillet 1789.
L'annonce de ces mesures n'est pas sans influence sur les campagnes. On observe en effet dans les semaines qui suivent une jacquerie particulièrement importante notamment dans le Midi. A la fin mars, en Ardèche, les possessions du célèbre comte d'Antraigues sont systématiquement mises à sac par plusieurs centaines de paysans. Pendant tout le mois d'avril le mouvement touche toute la basse Ardèche, gagne l'ensemble du Gard, la Lozère et le nord de l'Hérault. Au total, des dizaines de châteaux et de maisons fortes sont pillées. Dans le Gard, l'administration signale que “ dans certaines communes on a tenté de se partager les terres de ci-devants seigneurs ”. Le mouvement se développe aussi sur la rive gauche du Rhône, avec deux châteaux du district de Tarascon qui sont dévastés début avril. Le mouvement peut encore être observé dans le Var jusqu'à Grasse à la fin avril et au mois de mai.

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Message  Jérôme C. Dim 23 Jan - 9:52

Les raisons de cette jacquerie sont multiples mais il est possible que les déceptions accumulées au moment de la vente des biens de l'Église aient joué leur rôle. En effet, les paysans pauvres qui constituent ces bandes, sous couvert de patriotisme, semblent agir comme s'ils cherchaient à prendre quelques gages. Mise à sac et incendie des châteaux, vol, plus que destruction, des archives et des titres féodaux, pillage des forêts des émigrés etc., tout se passe comme si ces paysans craignaient que les nouvelles ventes nationales qui se profilent ne leur échappent encore. Cette flambée de violence pourrait ainsi constituer un mouvement visant à prendre ce qui peut être pris avant que le nouveau propriétaire issu de la bourgeoisie ne remplace l'ancien seigneur. Il est également possible que par ces actions, les paysans veuillent, plus ou moins consciemment, mettre en garde les notables des villes qui ont seuls profité de la Révolution depuis 1789. C'est notamment le cas dans le Gard où les bandes n'hésitent pas à piller aussi des fermes qui n'appartiennent pas à des émigrés ou à des nobles. Ces atteintes à la propriété semblent d'ailleurs avoir marqué les esprits car elles seront souvent rappelées par la bourgeoisie du Gard, notamment lors de la crise fédéraliste et après Thermidor.

Cette ébullition des campagnes à un moment où la menace militaire des Austro-Prussiens se précise de plus en plus n'est pas sans influence sur les délibérations de l'Assemblée Législative.

Par un décret du 27 juillet 1792 le principe de la vente des biens des émigrés est enfin adopté. En apparence, la décision des députés se fonde sur une idée simple : faire payer la guerre à ceux qui en sont rendus responsables. C'est ainsi, que dans son article premier la loi précise que “ les biens sont affectés à l'indemnité due à la Nation ”. Pourtant, selon Jaurès, cette décision serait essentiellement motivée par la peur “ qu'un mouvement paysan n'impose une répartition spontanée des biens nobles ”.

Le 14 août 1792, quatre jours après la chute de la monarchie, dans une situation militaire critique, la Législative décrète, sur proposition d'un député des Vosges proche de la Gironde, l'agronome François de Neufchâteau, le partage des communaux. Le même jour, sur proposition de ce même député, le principe du morcellement des biens des émigrés est adopté. L'assemblée impose l'aliénation de ces biens par lots de deux à quatre arpents, payables sous forme d'une rente perpétuelle rachetable. Mais là encore les enchères sont maintenues pour fixer le montant de la rente et l'État donne la préférence à l'acheteur qui rachète immédiatement la rente8.

Le décret du 2 septembre, adopté au moment où se déroulent les massacres dans les prisons parisiennes, confirme le principe du lotissement mais en le laissant à l'appréciation des districts et abandonne le principe de la rente pour revenir aux enchères. Une fois encore, cette mesure qui n'avantage que les acheteurs fortunés est mal accueillie. Dans différentes régions les paysans réclament le partage des biens nationaux. Dès le mois de novembre, sur la proposition de Treilhard, député de la Seine-et-Oise, la vente des biens de seconde origine est suspendue et l'on revient au régime du séquestre. Il est difficile de dire dans quelle mesure cette décision correspond ou non au rétablissement de la situation militaire ou à une volonté de certains députés de ne pas précipiter ces ventes de biens privés, idée qui effraye encore une partie importante de la bourgeoisie.

Pourtant, la chute du régime féodal et la perspective d'une reprise de la vente des biens nationaux avivent les tensions dans les campagnes. Le thème du despotisme d'une “ aristocratie de la richesse ” succédant à celui de “ l'aristocratie du sang ” se développe un peu partout en France. Ces nouveaux aristocrates, riches bourgeois ou gros fermiers sont souvent associés à l'image du riche acquéreur de biens d'Église et les menaces contre eux se précisent de plus en plus dans les campagnes. En Ardèche, la maison de Bernardi est attaquée et plusieurs communautés paysannes réclament et obtiennent des autorités l'annulation de ses achats de 1791. Dans le Gard, au début de 1793, l'administration du département doit suspendre la vente des biens de l'ordre de Malte devant la multiplication d'associations de plus en plus menaçantes de paysans.

Dès le début de la Convention, cette question des biens nationaux constitue un enjeu politique important dans la lutte qui oppose les Girondins et les Montagnards, mais il semble que ce soient les Girondins qui s'intéressent le plus aux problèmes liés à la propriété foncière. Face au Paris révolutionnaire qui soutient leurs adversaires, les Girondins tentent de s'appuyer sur les campagnes à partir du mois de janvier 1793.

Le 9 janvier, Roland, dans un rapport ministériel, propose de vendre les biens nationaux en parcelles de moins de six arpents. En février, Clavière revient sur cette question et propose de partager les terres du domaine royal en parcelles qui seraient données à bail. Cette proposition, comme d'autres sur cette question, montre la méconnaissance des aspects concrets de la vente des biens nationaux, par les députés qui tentent d'en faire un argument politique. En effet, en février 1793, la plupart des terres du domaine royal, ainsi que la quasi totalité des autres biens de première origine, ont déjà été vendues depuis 1791. Les seuls restes du domaine royal proviennent de ce qui a été laissé à LouisXVI au titre de la liste civile, c'est-à-dire assez peu de chose.

Enfin, Barrère, qui est alors encore proche des Girondins, déclare le 18 mars, “ tout nos soins doivent tendre à multiplier, autant qu'il est possible, le nombre des propriétaires. Vous avez promulgué un décret qui portait que les biens des émigrés seraient vendus par petites portions; cependant, rien ne se fait. Les citoyens des campagnes murmurent. La division de ces biens est nécessaire... La Révolution ainsi consolidée par l'intérêt d'une foule de petits propriétaires sera inébranlable ”9.

Si par ces discours la Gironde semble vouloir défendre les aspirations de la petite paysannerie, à aucun moment elle ne passe réellement aux actes. Le 4 mars, Delacroix présente un projet de décret sur le morcellement des biens des émigrés tout en conservant le principe des enchères qui désavantage la petite paysannerie. Mais surtout, le 18mars 1793, date du discours de Barrère, le fameux décret punissant de mort “ quiconque proposera une loi agraire ou toute autre subversive des propriétés territoriales, commerciales et industrielles ” est adopté. Ce décret, démontre bien aux yeux de la bourgeoisie, que les Girondins défendent fermement le droit de propriété en dépit des discours de circonstance.

Les Girondins vont plus loin encore, sur le rapport de Delacroix, le décret du 24 avril est adopté, interdisant “ les associations de tout ou parti considérable des habitants d'une commune pour acheter les biens mis en vente et en faire ensuite la répartition ou division entre les dits habitants ” et en prévoyant même un effet rétroactif. Ces coalitions permettaient de multiplier de façon importante le nombre des propriétaires là où elles étaient pratiquées mais elles faisaient aussi baisser le prix des enchères en chassant la concurrence. Au nom des intérêts financiers de l'État et surtout de la liberté des enchères ces associations sont donc prohibées. Or, nous l'avons vu, ces coalitions constituaient le seul moyen pour les communautés paysannes de procéder, après les ventes, aux morcellements que la loi n'avait pas prévus. Par contre, les associations occultes d'acheteurs aisés pouvaient continuer à se constituer, il s'agissait donc bien comme le dit Georges Lefebvre d'une mesure d'exception contre les pauvres.

Par ses discours et ses mesures contradictoires, la Gironde démontre son incapacité à sacrifier les intérêts financiers de l'État et de la bourgeoisie au profit d'une politique agraire qui avantagerait la petite paysannerie. Cependant, cette offensive girondine sans lendemain sur le terrain agraire contribue certainement à attirer l'attention des Montagnards sur ce problème qu'ils avaient jusque là négligé au profit de la question des subsistances.[/
Au mois d'avril, Marat revient plusieurs fois sur la question du partage des communaux et de la vente des biens des émigrés. A la fin avril, le député montagnard de la Sarthe Philippeaux introduit dans les discussions sur le Maximum une proposition de vente des biens des émigrés en petites parcelles. Les interventions des Montagnards sur la question des biens nationaux mais aussi sur celle du partage des communaux montrent bien leur volonté de ne pas abandonner le thème de la question agraire à leurs adversaires. Aussi, dès le 3 juin 1793, le lendemain de la chute de la Gironde, les Montagnards prennent des mesures sur cette question, sans doute dans le but de s'assurer du soutien de la paysannerie. Par un décret, la Convention Montagnarde impose le lotissement des biens des émigrés. De plus, tout chef de famille possédant moins d'un arpent de terre doit recevoir une parcelle d'un arpent contre une rente de 5% du prix du bien. Pourtant, le seul cas connu d'application est la Seine-et-Oise où 1 500 arpents de mauvaises terres sont répartis entre des indigents qui s'empressent de les revendre. Le 25 juillet 1793, la Convention adopte enfin les modalités de vente des biens des émigrés. La division des domaines en lots ou portions est confirmée, du moins, “ autant qu'il sera possible sans détériorer chaque corps de ferme ”.

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Message  Jérôme C. Dim 23 Jan - 9:52

Dans les districts, les ventes commencent dans l'enthousiasme dès l'été 1793. Le district du Mézenc organise symboliquement sa première vente le 10 août 1793. Lorsque le district du Tanargue procède à sa première vente, la première bougie est allumée à huit heures du matin, à neuf heures du soir le commissaire syndic du district “ renvoie la suite à demain 8 heures et invite les assistants qui sont en grand nombre de se trouver à la dite continuation ”.

Malgré ce bon accueil du public, la législation agraire de la Convention devient de plus en plus timorée. Par la loi du 13 septembre, l'arrentement d'un arpent de terre est abandonné. La Convention le remplace par l'attribution d'un bon de 500 livres remboursable en vingt ans, sans intérêt, attribué aux indigents qui peuvent ensuite tenter leur chance aux enchères. Encore faut-il pour obtenir ce bon, être en possession d'un certificat de civisme, n'être porté sur aucun rôle d'imposition, habiter dans une commune dépourvue de biens communaux. Plus grave encore, pour que le bon soit effectivement utilisé, il est nécessaire que la division des biens de seconde origine soit suffisamment bien faite pour que des lots puissent être vendus pour moins de 500 livres. Or, avec la chute de l'assignat, les prix des surenchères s'envolent et dépassent presque toujours la limite des 500 livres10.

Manifestement, ce dernier décret constitue un recul des Montagnards sur la question des biens nationaux. Deux raisons peuvent l'expliquer. Tout d'abord, au mois de septembre les principaux foyers fédéralistes sont matés et le soutien de la paysannerie dans la lutte contre la Gironde apparaît sans doute moins indispensable. Surtout, avec le décret du 10 juin prévoyant le partage égalitaire des communaux, la Montagne considère qu'elle a rempli l'essentiel de ses engagements envers les paysans sans terre. Les limites de la loi du 13 septembre qui n'attribue les bons de 500 livres qu'aux seuls habitants des communes dépourvues de communaux confirme l'association de ces deux questions pourtant très différentes.

La loi du 22 novembre 1793 permet enfin de commencer réellement la vente des biens de seconde origine en les morcelant autant que possible et en procédant à des ventes aux enchères au chef-lieu du district comme en 1790. Ainsi, après plus d'un an de débats acharnés et de décrets contradictoires, les mesures agraires en faveur des paysans sans terre se trouvent réduites à seulement deux concessions. La division des domaines et l'attribution de bons de 500 livres que l'inflation amoindrit chaque jour.

Pourtant, la question agraire n'est pas close. Dès l'automne 1793, les Hébertistes soulèvent le problème de la mise sous séquestre des biens des suspects. D'octobre 1793 à janvier 1794 plusieurs districts procèdent spontanément à celle-ci. Au moment de lancer leur offensive contre les Hébertistes, les Robespierristes reprennent cette revendication à leur compte. Par le décret du 26 février 1794, le séquestre des biens des suspects au profit de la République est décidé (1er décret de ventôse). Le 3 mars, au moment de l'arrestation d'Hébert, un second décret demande que l'état des biens des suspects soit effectué par les municipalités afin de servir à “ l'indemnisation ” des patriotes indigents, (second décret de ventôse). La simultanéité des événements fait que le caractère d'opportunité politique de la loi n'est pas douteuse. Cependant, Saint-Just, qui est à l'origine de ces décrets, semble personnellement convaincu de leur nécessité. Sa fameuse phrase “ le bonheur est une idée neuve en Europe ” est d'ailleurs prononcée à cette occasion. En fait, conviction ou opportunisme, on constate que dans leur lutte contre les Hébertistes comme dans celle qui les a opposés aux Girondins, les Robespierristes reprennent les arguments de leurs adversaires en matière agraire pour mieux les isoler.

Quelles que soient les motivations, l'impression suscitée par les décrets dans le public semble forte. Elle se résume par ce mot rapporté par un indicateur de police que “ les patriotes sont à présent assurés de coucher dans leur lit ”. La mesure est effectivement d'envergure car elle concerne le patrimoine d'environ 100 000 suspects et pourrait cette fois aboutir à une véritable redistribution foncière. Pourtant si ces mesures commencent à se mettre en place, avec l'établissement de la liste des indigents au moins dans l'Ardèche et le Puy-de-Dôme, les décrets, révoqués au lendemain du 9 thermidor, ne sont réellement appliqués nulle part.

Devant ces reculades et ces demi-mesures, certains auteurs ont pu conclure que la politique agraire de la Convention se trouve réduite à très peu de choses. Cependant, si les décrets de septembre et de novembre sont en retrait par rapport à ceux de juin, ils permettent encore de faire bénéficier les paysans les plus modestes d'une part beaucoup plus grande des biens de seconde origine que lors de la vente des biens de l'Église. Toute la question en effet, est de savoir dans quelle mesure les autorités locales ont ou non appliqué ces décrets. Sur la question du morcellement des domaines, il semble que les districts ont tous plus ou moins suivi les prescriptions de la Convention. Partout les domaines des émigrés sont divisés avant d'être vendus et parfois avec beaucoup de zèle. Dans le district du Coiron, par exemple, les 48 domaines d'émigrés confisqués sont divisés en 744 lots, soit une moyenne de 15 lots qui est souvent dépassée. C'est ce qui se passe le 14 juin 1793, lorsque le président du directoire du district renvoie la vente d'un domaine de l'émigré Joviac, divisé en douze lots, afin de le faire morceler à nouveau en 53 lopins. Les motivations de son acte sont intéressantes à noter puisqu'il précise que son but est “ de remplir la loi qui ordonne la vente des biens des émigrés en petits lots, de multiplier le nombre des propriétaires, qu'enfin la vente sera plus bénéfique pour la République ”.

Ce témoignage est important. Il prouve qu'en dehors des intérêts financiers de l'État qui ne sont pas oubliés, le souci de redistribution foncière demeure clairement une préoccupation prioritaire de certains administrateurs locaux. Les deux ne sont d'ailleurs pas contradictoires, l'écart entre estimation et prix d'adjudication est en effet plus important lorsque les biens sont morcelés. De plus, la volonté “ d'augmenter le nombre des propriétaires ”, démontre que ces ventes s'adressent aussi, et peut-être prioritairement, aux acheteurs dépourvus de terre. Dans ce cas, comme dans d'autres, il apparaît que face aux hésitations de la Convention, certaines autorités locales ont “ choisi leur camp ” en tentant de favoriser, autant que la loi le permet et parfois au-delà, les acheteurs peu fortunés.

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Message  Jérôme C. Dim 23 Jan - 9:53

Cette question du “ degré de sans-culotterie des autorités locales ”, pour reprendre le mot d'Albert Mathiez 11est encore plus révélatrice sur la question de l'application ou non de la loi du 13 septembre. En effet, Lefebvre estime dans “ Questions agraires sous la Terreur ” que la responsabilité de la non application ou de la très faible application de la loi du 13 septembre incombe en grande partie aux autorités locales.

En fait deux problèmes majeurs s'opposent à l'application de la loi. D'abord, le morcellement insuffisant qui ne génère pas assez de biens inférieurs à 500 livres, ensuite le maintien des enchères, qui, la dévaluation de l'assignat aidant, pousse rapidement les adjudications au delà de 500 livres. Lefebvre cite d'ailleurs le cas d'une pétition de la Société Populaire d'Aubenas, datée du 29 messidor an II, protestant contre cet état de fait qui empêche les indigents de profiter des bienfaits de la loi du 13 septembre12. Or, Lefebvre se trompe lorsqu'il conclut, d'après cette pétition, que la loi n'a pas été appliquée en Ardèche. En effet, ce département est l'un de ceux où justement les bons de 500 livres ont été distribués et utilisés dans les trois districts par plus de 100 personnes dont 76 pour la ville d'Aubenas13. Comment peut-on expliquer cela?

Le cas ardéchois démontre clairement que les administrations locales peuvent être beaucoup moins frileuses sur la question agraire que les Montagnards eux-mêmes. Les directoires de districts de l'Ardèche semblent avoir voulu prendre au mot la Convention. En effet, la loi a ainsi été présentée aux districts par Paris : “ (elle) fournit aux citoyens peu fortunés un moyen honorable autant que légitime de devenir propriétaire.. le décret du 13 septembre est l'accomplissement des promesses du 3 juin 1793 ”. La Commission des revenus nationaux rappelle que “ la vente des biens confisqués se poursuit dans toutes les parties du territoire français et même sous le feu de l'ennemi ”. Puis, après avoir énuméré les bienfaits de la loi du 13 septembre la commission exige des autorités locales un état des bénéficiaires en précisant qu'elle met “ infiniment de prix a ce que cette mesure soit promptement exécutée pour en soumettre le résultat au Comité de salut public ”.

En liant entre eux les décrets du 3 juin et du 13 septembre, la commission des revenus est logique. Sans le morcellement les bons sont inutiles, sans les bons, les indigents ne peuvent pas profiter du morcellement. Sans se préoccuper davantage des hésitations et des reculs parisiens, les Ardéchois s'appliquent à mettre en œuvre ces principes à la lettre. Dès le 2 avril 1794, le district du Mézenc attribue trois lots de 2 500 m2 à trois indigents bénéficiaires d'un bon14. La particularité de l'opération réside dans le fait que ces trois lots sont délivrés sans que les indigents ne participent aux enchères. Dans ce cas le directoire du Mézenc est logique avec la loi du 13 juin et donne toute sa signification à la loi du 13 septembre, en la violant allègrement... Cette disposition ne laisse pas indifférent les indigents des autres communes. Le 21juin, lors de la vente d'un autre domaine, 33 détenteurs de bons réclament leur lot. Sans doute inquiet de la tournure des événements, le directoire suspend la vente et la reprend deux mois plus tard sans qu'aucun bon ne soit utilisé.

Entre temps, la commission des revenus nationaux a rappelé à l'ordre le district du Mézenc, en soulignant le fait que les bons sont un “ crédit national ” qui ne dispense pas des enchères. Dépité, le Mézenc répond qu'il “ prévoit que peu de citoyens se présenteront pour réclamer les bons sachant qu'ils ne peuvent acquérir les biens des émigrés qu'en participant aux enchères. 22 citoyens de la commune de Péray vin blanc à qui nous avions attribué ces bons ne se sont pas même présentés aux enchères ”. Malgré cet échec dans le Mézenc la loi est aussi appliquée dans le Coiron. Ce district délivre les bons fin décembre 1793, à des indigents de la commune d'Aubenas. Le 27 juillet 1794 (8thermidor) un domaine soigneusement divisé en 47 lots est vendu dans cette ville. Le lendemain, 76 bénéficiaires de bons repartent propriétaires d'un lopin de terre. Dans ce cas le district du Coiron a appliqué la loi, car les bénéficiaires des bons participent aux enchères. Mais pour pouvoir profiter de leur bons, les indigents se groupent pour pouvoir acquérir des lots dont le prix se situe entre 1 500 et 6 000 livres.

Aussi la pétition envoyée à la Convention une semaine plus tôt n'est pas le signe du caractère illusoire du décret, mais d'une volonté farouche de l'appliquer. En fait Aubenas a utilisé toutes les ressources de la loi. Une circulaire, peu connue, de mai 1794 prévoyait cette possibilité d'association et autorisait le paiement des sommes dépassant 500 livres comme pour un acquéreur ordinaire. Pourtant là encore, Aubenas outrepasse le cadre strict de la loi puisque 25% des bénéficiaires sont imposés et payent entre une et six livres de contribution personnelle. Il faut dire aussi que 30% des bénéficiaires font partie de la Société Populaire qui joue un rôle actif dans l'application concrète de la loi. Ainsi, les autorités locales ne font pas barrage à la loi du 13 septembre dans le cas de l'Ardèche, elles la détournent même savamment pour tenter de lui donner une réelle application. Le district du Tanargue applique lui aussi la loi puisque le 14 frimaire an III, 30 habitants de la Souche utilisent encore les bons de 500 livres.

Il est important de souligner que le cas de l'Ardèche n'est pas unique. Si les districts de Rouen et de Clermont-Ferrand distribuent largement les bons sans qu'ils ne puissent être réellement utilisés, dans d'autres départements, tels que la Gironde15, l'Allier, le Nord, les Côtes-du-Nord, le Lot, l'Hérault, quelques dizaines de lots sont acquis par des indigents grâce aux bons. Toutefois, c'est le district de Grenoble qui fait preuve de l'attitude la plus “ sans-culotte ”. En effet, non seulement le district distribue largement les bons mais il inclut dans les ayants-droit les défenseurs de la patrie. Comme le montant du brevet de récompense qui leur a été promis par la Convention n'a pas été fixé, le directoire du district leur attribue systématiquement des bons. Il faut noter que l'agent national du district, Hilaire, tient la Convention informée de ses démarches, mais n'obtenant pas de réponse il considère sans doute que son action est approuvée. C'est ainsi qu'entre septembre 1794 et septembre 1795, le district distribue 440 hectares de biens d'émigrés à 2 256 défenseurs de la patrie, veuves et indigents. Distribue, car non seulement les bénéficiaires des bons ne participent pas aux enchères mais en plus ils n'ont même pas à se déplacer. Les officiers municipaux des communes concernées sont en effet convoqués au district lors de la vente pour enchérir fictivement une seule fois au profit de leurs ayants-droit. Le district explique d'ailleurs sa démarche, comme un moyen sûr d'empêcher tout retour de l'Ancien Régime. Il affirme qu'“ il est d'une sage politique d'intéresser les défenseurs de la patrie au service de la Révolution et d'ôter aux émigrés tout espoir de rentrer jamais dans leurs biens ”16. Cette application révolutionnaire de la loi entraîne cependant certains abus. Des biens attribués à des défenseurs de la patrie sont acquis par des civils. Plus grave, des militaires désertent pour prendre possession de leur bien. Ces abus conduisent le directoire du district de Grenoble à annuler certaines ventes frauduleuses. Cette décision attire l'attention du ministre des finances qui fait annuler l'ensemble des ventes et fait procéder à la revente normale de ces biens le 8 avril 1796. A cette date la France est sous le régime du Directoire qui place les préoccupations financières bien avant la politique agraire.

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Message  Jérôme C. Dim 23 Jan - 9:54

Ces cas d'applications concrètes de la loi du 13 septembre ne doivent pas être évalués par rapport à leur intérêt économique qui est négligeable mais par rapport à l'accueil favorable qui a été fait aux timides mesures “ sociales ” de la Convention en matière agraire. Sans qu'il soit question de réforme agraire, le fait que des administrations locales offrent à quelques centaines ou à quelques milliers de citoyens pauvres une part si minime soit-elle, des biens des émigrés a une forte signification politique. Ce fait démontre que les citoyens les plus démunis, informés par les Sociétés Populaires sont beaucoup plus attentifs aux projets de la Convention qu'on ne l'a parfois affirmé. Au delà de leurs différences et de leurs priorités, (ouvriers et artisans pauvres dans la ville manufacturière d'Aubenas, défenseurs de la patrie à Grenoble, ville proche de la frontière), les deux exemples ardéchois et isérois prouvent que la loi était effectivement applicable au plan local. Ainsi, c'est bien la timidité de la Convention qui a empêché l'application de cette mesure politiquement très ambitieuse, beaucoup plus que l'hostilité supposée des districts.

Toutes ces hésitations des conventionnels vis-à-vis des mesures agraires auxquelles aspire la paysannerie, démontrent que les Montagnards, pas plus que les Girondins, n'ont été suffisamment attentifs aux questions agraires. Ils font même parfois montre d'une totale méconnaissance des lois déjà votées. Mises à part les tentatives de juin 1793 et de Ventôse an II, destinées à attirer opportunément à eux la clientèle paysanne, ils ne proposent jamais une véritable redistribution de la terre. Il faut dire à leur décharge que deux problèmes plus importants dans leur esprit les empêchaient d'être trop généreux par rapport à la paysannerie pauvre. Le premier provient de la guerre intérieure et extérieure qu'ils doivent soutenir sur tous les fronts. Le seul moyen de la financer demeure les assignats, et la vente des biens des émigrés constitue l'unique gage tangible de cette monnaie entre 1793 et 1794. Cette circonstance interdisait donc de donner gratuitement la terre aux paysans. Le second problème est lié à l'obsession du ravitaillement des villes et en premier lieu de Paris. Or beaucoup de défenseurs des sans-culottes hésitent à trop favoriser le petit propriétaire auto-suffisant au détriment des grandes exploitations. Ces dernières produisant les excédents vendus sur les marchés urbains, leur disparition risquerait d'entraîner la famine dans les villes qui constituent le soutien essentiel de la Montagne. Aussi, l'intérêt des paysans qui attendaient beaucoup, et depuis 1789, des mesures agraires, a-t-il sans doute été finalement sacrifié, tant par la Constituante que par la Convention.

Pourtant Saint-Just a bien mesuré l'impact possible d'une véritable politique agraire lorsqu'il écrit dans ses notes : “ Je défie que la liberté s'établisse s'il est possible qu'on puisse soulever les malheureux contre le nouvel ordre de chose; Je défie qu'il n'y ait plus de malheureux si l'on ne fait en sorte que chacun ait des terres... Il faut détruire la mendicité par la distribution des biens nationaux ”. Saint Just avait compris, mais trop tard, l'importance de la question agraire. Malgré les tentatives ponctuelles de certains districts “ sans-culottes ” et la mise en place tardive des lois de ventôse, la Montagne, pas plus que la Gironde, n'a su s'attirer la confiance et le soutien de la paysannerie.

Notes
1 Goubert Pierre, Michel Denis, 1789, les Français ont la parole, cahiers de doléances des États généraux, Julliard, Collection Archives, Paris, 1964, p. 180. 2 AD Ardèche, B 142, cahiers de doléances de la sénéchaussée de Villeneuve-de-Berg. 3 Teyssier Éric, “ La vente des biens nationaux à travers le cas des Bernardi, Spéculation et ascension sociale ”, Revue du Vivarais, 1989, t. II C, p. 85-95. 4 Loutchisky Yvan, Quelques remarques sur la vente des biens nationaux, Paris, Champion, 1913. 5 Rouvière François, L'Aliénation des biens nationaux dans le Gard, Nîmes, Gervais Bedot, 1900. 6 Teyssier Éric, La Question des biens nationaux à travers le cas ardéchois. Bilan historiographique et analyse d'un enjeu révolutionnaire, thèse, Montpellier, 1996. 7 Ado Anatoly, Paysans en révolution, Terre pouvoir et jacquerie, 1789-1794, Quintin, Société des Études Robespierristes, 1998. Lefebvre Georges, Questions agraire sous la Terreur, Paris, CTHS, 1932. 8 Lefebvre Georges, op. cit., p. 33. 9 Berville et Barrière, Débats de la Convention Nationale, ou analyse complète des séances de cette assemblée, Paris, Baudouin, 1828, t. III. 10 Teyssier Éric, “ Appliquer une loi sociale en France sous la Convention. La mise en œuvre de la loi du 13 septembre 1793 ”, Annales historiques de la Révolution française, 1998, n° 2, p. 265-283. 11 Mathiez Albert, “ La Révolution et les prolétaires ”, Annales historiques de la Révolution française, 1931, t. VIII, p. 479-495. 12 Lefebvre Georges, op. cit., p. 56. 13 Si cette erreur ne constitue en soit qu'un point de détail, elle démontre néanmoins l'impossibilité de faire l'histoire de la Révolution à partir des seules archives des assemblées et des services des administrations centrales, trop souvent coupées des réalités locales. 14 AD Ardèche, Q 291. État des bons de 500 livres distribués. 15 Marion Marcel, La Vente des biens nationaux pendant la Révolution. Avec étude spéciale dans les départements du Cher et de la Gironde, Paris, Champion, 1908. 16 AD Isère, 1 Q 3. Délibération du directoire du district de Grenoble. 17 Sur les longs débats qui ont divisé l'Assemblée sur cette question voir : Aulard A., La Révolution Française et les congrégations, Paris, Édouard Cornely, 1903, 325 p

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Message  Jérôme C. Jeu 25 Aoû - 9:55

article de Généalogie n°43 sur les biens nationaux

les biens nationaux 120650Sanstitre2

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Message  Laurent Mar 25 Fév - 7:30

Voici un document qui concerne la vente de la Chartreuse de Montmerle durant la Révolution, département de l'Ain, commune de Lescheroux, canton de Saint-Trivier, district de Pont-de-Vaux :

Une lettre du 7 nivôse An 3 (27 décembre 1795) à propos de la vente de la chartreuse de Montmerle. AD de l'Ain, 2 L 141


[…] relativement au citoyen Golay armurier et fourbisseur à Lausanne en Suisse qui demande à acquérir sur estimation la ci-devant chartreuse de Montmerle pour y établir une manufacture d’armes.
Il en résulte que l’estimation déjà faite est, comme nous l’avions prévû au dessous de la valeur des objets tellement que la Chartreuse estimée à 61 000 livres et dont le citoyen Golay offre 90 000 livres en y joignant le clos produiroit à ne vendre que les matériaux plus de 200 milles livres. Que si l’on aliène cet établissement autrement qu’aux enchères, il y aura lieu ainsi que nous l’avons également remarqué de le faire estimer par un architecte, d’imposer au soumissionnaire la condition d’établir sans délai sa manufacture et encore d’y en substituer une autre en cas que par la suite elle ne se trouvat plus utile […]


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Message  Jérôme C. Mar 21 Juil - 19:38

Éric Teyssier
La vente des biens nationaux et la question agraire, aspects législatifs et politiques, 1789-1795

A la veille de la Révolution, la pression démographique et le besoin de terre qui en découle rendent la question foncière cruciale dans le monde rural. Témoignage de cette “ faim de terre ”, de nombreux cahiers de doléances proposent de diviser les biens de la Couronne et des monastères en parcelles qui seraient ensuite revendues aux paysans. C'est le cas du cahier du Tiers du bailliage de Chartres qui demande la vente des biens ecclésiastiques “ autant que se faire pourra en petites portions ”1. Les cahiers du Tiers-État de la sénéchaussée de Villeneuve-de-Berg dans le Vivarais témoignent également de cet état d'esprit. Certains souhaitent ainsi que “ l'on supprime les prieurés simples et les moines rentés... qui jouissent des biens qui n'ont pas été fondés pour leur procurer une vie molle et oisive... c'est un abus révoltant pour y remédier il faudrait que les biens fonds fussent vendus ”2.

Aussi lorsque l'Assemblée Nationale décide le 2 novembre 1789 “ que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la Nation ”, elle suscite un immense espoir dans les campagnes. Les décrets fixant les modalités des ventes semblent d'ailleurs confirmer ces espérances. La loi du 14 mai 1790 affirme ainsi que les objectifs de ces ventes sont “ le bon ordre des finances et l'accroissement heureux, surtout parmi les habitants des campagnes, du nombre des propriétaires ”. Pour rendre possible cette accession à la propriété des paysans qui en sont dépourvus la division préalable des biens est indispensable.

Ce morcellement des terres est ainsi prévu par la loi du 25 juin 1790 qui le préconise “ autant que la nature le permettra ”. Pourtant, ces mesures témoignant d'une volonté de multiplier le nombre des petits propriétaires sont abrogées par les décrets de novembre 1790 qui imposent la vente des biens de l'Église en corps d'exploitation et incitent même les districts à regrouper les biens trop modestes. Lorsque les députés de la Constituante adoptent cette loi, leur objectif consiste alors uniquement à combler au plus vite le gouffre budgétaire hérité de l'Ancien Régime. Ils estiment donc nécessaire de favoriser les acheteurs fortunés issus de la bourgeoisie qui sont supposés être plus solvables que les paysans sans terre. Au-delà de ces considérations purement financières, il est probable que les députés de la Constituante ont également été sensibles aux arguments de la bourgeoisie qui s'intéresse beaucoup à ces biens que les experts inventorient depuis le début de l'année 1790. En effet, la bourgeoisie a tout avantage à enchérir sur de vastes exploitations car elle écarte ainsi des ventes de nombreux paysans, même aisés, qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour pousser les enchères au-dessus d'un certain seuil. Quant aux paysans sans terre, la non division des domaines a pour conséquence de les exclure presque totalement des ventes.

Pourtant, lorsque les premiers biens sont effectivement vendus aux enchères publiques, dès novembre 1790, la foule se presse nombreuse dans les salles de vente. Comme les domaines n'ont fait l'objet d'aucune division préalable, la déception est grande pour de nombreux paysans qui espéraient, naïvement, pouvoir emporter une part même modeste de ces terres. Dans certains districts, la volonté de favoriser les acheteurs fortunés est poussée jusqu'aux limites de la malversation. C'est notamment le cas en Ardèche dans le district du Tanargue. Dans cet exemple, les autorités regroupent systématiquement les différents lopins possédés par les curés de chaque paroisse pour les proposer en un seul lot qui est rarement acquis par un paysan. Plus grave encore, le directoire du Tanargue propose un lot de douze domaines aux enchères. Ce lot de près de 800 hectares est acquis par Jean Bernardi, négociant forain de la ville d'Aubenas, après seulement deux enchères. Il sera prouvé par la suite que Bernardi représentant d'une société d'acquéreurs occultes avait écarté les concurrents potentiels3. De tels cas ne sont pas systématiques, et le district voisin du Coiron tente au contraire de vendre les terres de l'Église sans jamais réunir les lopins dispersés.

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Message  Jérôme C. Mar 21 Juil - 19:39

Cependant, face à la loi qui les désavantage, les paysans réagissent en constituant des associations plus ou moins importantes afin de mettre leurs moyens en commun. Dans certains cas, ces sociétés de paysans font pression, parfois par la violence, parfois par l'argent, sur les enchérisseurs étrangers à leur communauté. Ces cas, observés notamment par Lefebvre dans le Cambrésis ont également eu lieu dans le Midi. C'est l'exemple de Tarascon signalé par Loutchisky 4et du Gard où 104 habitants de la commune de Pujaut réunissent 130 000livres pour l'achat d'un domaine5. C'est le cas également de l'Ardèche où l'ensemble de la commune de Soyons, maire et curé en tête se ligue pour détourner des ventes deux négociants de Valence par la menace puis par l'argent6.
Malgré cette résistance qui est parfois observée dans certaines communautés villageoises, les avantages donnés à la bourgeoisie par la Constituante, et confirmés par la Législative, laissent des marques profondes au sein de la paysannerie. Comme le soulignent Anatoli Ado et Georges Lefebvre7, la question de la loi agraire semble pénétrer de plus en plus le monde des campagnes en se cristallisant souvent autour de la question des biens nationaux. Ainsi, en mars 1791, des paysans de villages du canton de Montélimar, veulent pendre des acquéreurs de biens nationaux et obliger deux commissaires du district à ratifier l'acte de partage auquel ils ont procédé. Les autorités départementales doivent d'urgence envoyer deux compagnies et des canons de la garnison de Valence pour calmer les esprits.
A la fin de l'année 1791, la grande majorité des biens de l'Église sont déjà vendus. Comme cela était prévisible, c'est la bourgeoisie qui a pu en acquérir la plus grande part. Si la paysannerie aisée a elle aussi, mais dans une moindre mesure, pu tirer parti de ces ventes, les paysans les plus pauvres n'ont rien pu acquérir du fait du mode d'aliénation adopté. Pourtant, le débat sur les biens nationaux reprend sous la Législative avec la question des biens des émigrés. Si le débat sur la question de la vente des biens de l'Église a été rapidement tranché, la décision d'aliéner les biens des émigrés est politiquement beaucoup plus lourde de sens. En effet, l'Église en tant qu'institution “ publique ” peut raisonnablement abandonner ses biens à la Nation contre certaines compensations. Par contre, vendre les biens des émigrés constitue une appropriation par l'État de biens privés, notion choquante pour un grand nombre de députés, d'autant que cette mesure risque de constituer un dangereux précédent. Cette question de la vente des biens des émigrés est néanmoins évoquée à l'assemblée Législative dès le 10 janvier 1792 lors d'un discours de Lamarque, député de la Dordogne. Dès le l9 février 1792 l'assemblée impose le séquestre de leurs biens. Le 30mars, à la veille de la déclaration de guerre, la Législative décrète la confiscation des biens de tous les émigrés absents de France depuis le premier juillet 1789.
L'annonce de ces mesures n'est pas sans influence sur les campagnes. On observe en effet dans les semaines qui suivent une jacquerie particulièrement importante notamment dans le Midi. A la fin mars, en Ardèche, les possessions du célèbre comte d'Antraigues sont systématiquement mises à sac par plusieurs centaines de paysans. Pendant tout le mois d'avril le mouvement touche toute la basse Ardèche, gagne l'ensemble du Gard, la Lozère et le nord de l'Hérault. Au total, des dizaines de châteaux et de maisons fortes sont pillées. Dans le Gard, l'administration signale que “ dans certaines communes on a tenté de se partager les terres de ci-devants seigneurs ”. Le mouvement se développe aussi sur la rive gauche du Rhône, avec deux châteaux du district de Tarascon qui sont dévastés début avril. Le mouvement peut encore être observé dans le Var jusqu'à Grasse à la fin avril et au mois de mai.

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Message  Jérôme C. Mar 21 Juil - 19:39

Les raisons de cette jacquerie sont multiples mais il est possible que les déceptions accumulées au moment de la vente des biens de l'Église aient joué leur rôle. En effet, les paysans pauvres qui constituent ces bandes, sous couvert de patriotisme, semblent agir comme s'ils cherchaient à prendre quelques gages. Mise à sac et incendie des châteaux, vol, plus que destruction, des archives et des titres féodaux, pillage des forêts des émigrés etc., tout se passe comme si ces paysans craignaient que les nouvelles ventes nationales qui se profilent ne leur échappent encore. Cette flambée de violence pourrait ainsi constituer un mouvement visant à prendre ce qui peut être pris avant que le nouveau propriétaire issu de la bourgeoisie ne remplace l'ancien seigneur. Il est également possible que par ces actions, les paysans veuillent, plus ou moins consciemment, mettre en garde les notables des villes qui ont seuls profité de la Révolution depuis 1789. C'est notamment le cas dans le Gard où les bandes n'hésitent pas à piller aussi des fermes qui n'appartiennent pas à des émigrés ou à des nobles. Ces atteintes à la propriété semblent d'ailleurs avoir marqué les esprits car elles seront souvent rappelées par la bourgeoisie du Gard, notamment lors de la crise fédéraliste et après Thermidor.

Cette ébullition des campagnes à un moment où la menace militaire des Austro-Prussiens se précise de plus en plus n'est pas sans influence sur les délibérations de l'Assemblée Législative.

Par un décret du 27 juillet 1792 le principe de la vente des biens des émigrés est enfin adopté. En apparence, la décision des députés se fonde sur une idée simple : faire payer la guerre à ceux qui en sont rendus responsables. C'est ainsi, que dans son article premier la loi précise que “ les biens sont affectés à l'indemnité due à la Nation ”. Pourtant, selon Jaurès, cette décision serait essentiellement motivée par la peur “ qu'un mouvement paysan n'impose une répartition spontanée des biens nobles ”.

Le 14 août 1792, quatre jours après la chute de la monarchie, dans une situation militaire critique, la Législative décrète, sur proposition d'un député des Vosges proche de la Gironde, l'agronome François de Neufchâteau, le partage des communaux. Le même jour, sur proposition de ce même député, le principe du morcellement des biens des émigrés est adopté. L'assemblée impose l'aliénation de ces biens par lots de deux à quatre arpents, payables sous forme d'une rente perpétuelle rachetable. Mais là encore les enchères sont maintenues pour fixer le montant de la rente et l'État donne la préférence à l'acheteur qui rachète immédiatement la rente8.

Le décret du 2 septembre, adopté au moment où se déroulent les massacres dans les prisons parisiennes, confirme le principe du lotissement mais en le laissant à l'appréciation des districts et abandonne le principe de la rente pour revenir aux enchères. Une fois encore, cette mesure qui n'avantage que les acheteurs fortunés est mal accueillie. Dans différentes régions les paysans réclament le partage des biens nationaux. Dès le mois de novembre, sur la proposition de Treilhard, député de la Seine-et-Oise, la vente des biens de seconde origine est suspendue et l'on revient au régime du séquestre. Il est difficile de dire dans quelle mesure cette décision correspond ou non au rétablissement de la situation militaire ou à une volonté de certains députés de ne pas précipiter ces ventes de biens privés, idée qui effraye encore une partie importante de la bourgeoisie.

Pourtant, la chute du régime féodal et la perspective d'une reprise de la vente des biens nationaux avivent les tensions dans les campagnes. Le thème du despotisme d'une “ aristocratie de la richesse ” succédant à celui de “ l'aristocratie du sang ” se développe un peu partout en France. Ces nouveaux aristocrates, riches bourgeois ou gros fermiers sont souvent associés à l'image du riche acquéreur de biens d'Église et les menaces contre eux se précisent de plus en plus dans les campagnes. En Ardèche, la maison de Bernardi est attaquée et plusieurs communautés paysannes réclament et obtiennent des autorités l'annulation de ses achats de 1791. Dans le Gard, au début de 1793, l'administration du département doit suspendre la vente des biens de l'ordre de Malte devant la multiplication d'associations de plus en plus menaçantes de paysans.

Dès le début de la Convention, cette question des biens nationaux constitue un enjeu politique important dans la lutte qui oppose les Girondins et les Montagnards, mais il semble que ce soient les Girondins qui s'intéressent le plus aux problèmes liés à la propriété foncière. Face au Paris révolutionnaire qui soutient leurs adversaires, les Girondins tentent de s'appuyer sur les campagnes à partir du mois de janvier 1793.

Le 9 janvier, Roland, dans un rapport ministériel, propose de vendre les biens nationaux en parcelles de moins de six arpents. En février, Clavière revient sur cette question et propose de partager les terres du domaine royal en parcelles qui seraient données à bail. Cette proposition, comme d'autres sur cette question, montre la méconnaissance des aspects concrets de la vente des biens nationaux, par les députés qui tentent d'en faire un argument politique. En effet, en février 1793, la plupart des terres du domaine royal, ainsi que la quasi totalité des autres biens de première origine, ont déjà été vendues depuis 1791. Les seuls restes du domaine royal proviennent de ce qui a été laissé à LouisXVI au titre de la liste civile, c'est-à-dire assez peu de chose.

Enfin, Barrère, qui est alors encore proche des Girondins, déclare le 18 mars, “ tout nos soins doivent tendre à multiplier, autant qu'il est possible, le nombre des propriétaires. Vous avez promulgué un décret qui portait que les biens des émigrés seraient vendus par petites portions; cependant, rien ne se fait. Les citoyens des campagnes murmurent. La division de ces biens est nécessaire... La Révolution ainsi consolidée par l'intérêt d'une foule de petits propriétaires sera inébranlable ”9.

Si par ces discours la Gironde semble vouloir défendre les aspirations de la petite paysannerie, à aucun moment elle ne passe réellement aux actes. Le 4 mars, Delacroix présente un projet de décret sur le morcellement des biens des émigrés tout en conservant le principe des enchères qui désavantage la petite paysannerie. Mais surtout, le 18mars 1793, date du discours de Barrère, le fameux décret punissant de mort “ quiconque proposera une loi agraire ou toute autre subversive des propriétés territoriales, commerciales et industrielles ” est adopté. Ce décret, démontre bien aux yeux de la bourgeoisie, que les Girondins défendent fermement le droit de propriété en dépit des discours de circonstance.

Les Girondins vont plus loin encore, sur le rapport de Delacroix, le décret du 24 avril est adopté, interdisant “ les associations de tout ou parti considérable des habitants d'une commune pour acheter les biens mis en vente et en faire ensuite la répartition ou division entre les dits habitants ” et en prévoyant même un effet rétroactif. Ces coalitions permettaient de multiplier de façon importante le nombre des propriétaires là où elles étaient pratiquées mais elles faisaient aussi baisser le prix des enchères en chassant la concurrence. Au nom des intérêts financiers de l'État et surtout de la liberté des enchères ces associations sont donc prohibées. Or, nous l'avons vu, ces coalitions constituaient le seul moyen pour les communautés paysannes de procéder, après les ventes, aux morcellements que la loi n'avait pas prévus. Par contre, les associations occultes d'acheteurs aisés pouvaient continuer à se constituer, il s'agissait donc bien comme le dit Georges Lefebvre d'une mesure d'exception contre les pauvres.

Par ses discours et ses mesures contradictoires, la Gironde démontre son incapacité à sacrifier les intérêts financiers de l'État et de la bourgeoisie au profit d'une politique agraire qui avantagerait la petite paysannerie. Cependant, cette offensive girondine sans lendemain sur le terrain agraire contribue certainement à attirer l'attention des Montagnards sur ce problème qu'ils avaient jusque là négligé au profit de la question des subsistances.[/
Au mois d'avril, Marat revient plusieurs fois sur la question du partage des communaux et de la vente des biens des émigrés. A la fin avril, le député montagnard de la Sarthe Philippeaux introduit dans les discussions sur le Maximum une proposition de vente des biens des émigrés en petites parcelles. Les interventions des Montagnards sur la question des biens nationaux mais aussi sur celle du partage des communaux montrent bien leur volonté de ne pas abandonner le thème de la question agraire à leurs adversaires. Aussi, dès le 3 juin 1793, le lendemain de la chute de la Gironde, les Montagnards prennent des mesures sur cette question, sans doute dans le but de s'assurer du soutien de la paysannerie. Par un décret, la Convention Montagnarde impose le lotissement des biens des émigrés. De plus, tout chef de famille possédant moins d'un arpent de terre doit recevoir une parcelle d'un arpent contre une rente de 5% du prix du bien. Pourtant, le seul cas connu d'application est la Seine-et-Oise où 1 500 arpents de mauvaises terres sont répartis entre des indigents qui s'empressent de les revendre. Le 25 juillet 1793, la Convention adopte enfin les modalités de vente des biens des émigrés. La division des domaines en lots ou portions est confirmée, du moins, “ autant qu'il sera possible sans détériorer chaque corps de ferme ”.

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Message  Jérôme C. Mar 21 Juil - 19:39

Dans les districts, les ventes commencent dans l'enthousiasme dès l'été 1793. Le district du Mézenc organise symboliquement sa première vente le 10 août 1793. Lorsque le district du Tanargue procède à sa première vente, la première bougie est allumée à huit heures du matin, à neuf heures du soir le commissaire syndic du district “ renvoie la suite à demain 8 heures et invite les assistants qui sont en grand nombre de se trouver à la dite continuation ”.

Malgré ce bon accueil du public, la législation agraire de la Convention devient de plus en plus timorée. Par la loi du 13 septembre, l'arrentement d'un arpent de terre est abandonné. La Convention le remplace par l'attribution d'un bon de 500 livres remboursable en vingt ans, sans intérêt, attribué aux indigents qui peuvent ensuite tenter leur chance aux enchères. Encore faut-il pour obtenir ce bon, être en possession d'un certificat de civisme, n'être porté sur aucun rôle d'imposition, habiter dans une commune dépourvue de biens communaux. Plus grave encore, pour que le bon soit effectivement utilisé, il est nécessaire que la division des biens de seconde origine soit suffisamment bien faite pour que des lots puissent être vendus pour moins de 500 livres. Or, avec la chute de l'assignat, les prix des surenchères s'envolent et dépassent presque toujours la limite des 500 livres10.

Manifestement, ce dernier décret constitue un recul des Montagnards sur la question des biens nationaux. Deux raisons peuvent l'expliquer. Tout d'abord, au mois de septembre les principaux foyers fédéralistes sont matés et le soutien de la paysannerie dans la lutte contre la Gironde apparaît sans doute moins indispensable. Surtout, avec le décret du 10 juin prévoyant le partage égalitaire des communaux, la Montagne considère qu'elle a rempli l'essentiel de ses engagements envers les paysans sans terre. Les limites de la loi du 13 septembre qui n'attribue les bons de 500 livres qu'aux seuls habitants des communes dépourvues de communaux confirme l'association de ces deux questions pourtant très différentes.

La loi du 22 novembre 1793 permet enfin de commencer réellement la vente des biens de seconde origine en les morcelant autant que possible et en procédant à des ventes aux enchères au chef-lieu du district comme en 1790. Ainsi, après plus d'un an de débats acharnés et de décrets contradictoires, les mesures agraires en faveur des paysans sans terre se trouvent réduites à seulement deux concessions. La division des domaines et l'attribution de bons de 500 livres que l'inflation amoindrit chaque jour.

Pourtant, la question agraire n'est pas close. Dès l'automne 1793, les Hébertistes soulèvent le problème de la mise sous séquestre des biens des suspects. D'octobre 1793 à janvier 1794 plusieurs districts procèdent spontanément à celle-ci. Au moment de lancer leur offensive contre les Hébertistes, les Robespierristes reprennent cette revendication à leur compte. Par le décret du 26 février 1794, le séquestre des biens des suspects au profit de la République est décidé (1er décret de ventôse). Le 3 mars, au moment de l'arrestation d'Hébert, un second décret demande que l'état des biens des suspects soit effectué par les municipalités afin de servir à “ l'indemnisation ” des patriotes indigents, (second décret de ventôse). La simultanéité des événements fait que le caractère d'opportunité politique de la loi n'est pas douteuse. Cependant, Saint-Just, qui est à l'origine de ces décrets, semble personnellement convaincu de leur nécessité. Sa fameuse phrase “ le bonheur est une idée neuve en Europe ” est d'ailleurs prononcée à cette occasion. En fait, conviction ou opportunisme, on constate que dans leur lutte contre les Hébertistes comme dans celle qui les a opposés aux Girondins, les Robespierristes reprennent les arguments de leurs adversaires en matière agraire pour mieux les isoler.

Quelles que soient les motivations, l'impression suscitée par les décrets dans le public semble forte. Elle se résume par ce mot rapporté par un indicateur de police que “ les patriotes sont à présent assurés de coucher dans leur lit ”. La mesure est effectivement d'envergure car elle concerne le patrimoine d'environ 100 000 suspects et pourrait cette fois aboutir à une véritable redistribution foncière. Pourtant si ces mesures commencent à se mettre en place, avec l'établissement de la liste des indigents au moins dans l'Ardèche et le Puy-de-Dôme, les décrets, révoqués au lendemain du 9 thermidor, ne sont réellement appliqués nulle part.

Devant ces reculades et ces demi-mesures, certains auteurs ont pu conclure que la politique agraire de la Convention se trouve réduite à très peu de choses. Cependant, si les décrets de septembre et de novembre sont en retrait par rapport à ceux de juin, ils permettent encore de faire bénéficier les paysans les plus modestes d'une part beaucoup plus grande des biens de seconde origine que lors de la vente des biens de l'Église. Toute la question en effet, est de savoir dans quelle mesure les autorités locales ont ou non appliqué ces décrets. Sur la question du morcellement des domaines, il semble que les districts ont tous plus ou moins suivi les prescriptions de la Convention. Partout les domaines des émigrés sont divisés avant d'être vendus et parfois avec beaucoup de zèle. Dans le district du Coiron, par exemple, les 48 domaines d'émigrés confisqués sont divisés en 744 lots, soit une moyenne de 15 lots qui est souvent dépassée. C'est ce qui se passe le 14 juin 1793, lorsque le président du directoire du district renvoie la vente d'un domaine de l'émigré Joviac, divisé en douze lots, afin de le faire morceler à nouveau en 53 lopins. Les motivations de son acte sont intéressantes à noter puisqu'il précise que son but est “ de remplir la loi qui ordonne la vente des biens des émigrés en petits lots, de multiplier le nombre des propriétaires, qu'enfin la vente sera plus bénéfique pour la République ”.

Ce témoignage est important. Il prouve qu'en dehors des intérêts financiers de l'État qui ne sont pas oubliés, le souci de redistribution foncière demeure clairement une préoccupation prioritaire de certains administrateurs locaux. Les deux ne sont d'ailleurs pas contradictoires, l'écart entre estimation et prix d'adjudication est en effet plus important lorsque les biens sont morcelés. De plus, la volonté “ d'augmenter le nombre des propriétaires ”, démontre que ces ventes s'adressent aussi, et peut-être prioritairement, aux acheteurs dépourvus de terre. Dans ce cas, comme dans d'autres, il apparaît que face aux hésitations de la Convention, certaines autorités locales ont “ choisi leur camp ” en tentant de favoriser, autant que la loi le permet et parfois au-delà, les acheteurs peu fortunés.

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Message  Jérôme C. Mar 21 Juil - 19:39

Cette question du “ degré de sans-culotterie des autorités locales ”, pour reprendre le mot d'Albert Mathiez 11est encore plus révélatrice sur la question de l'application ou non de la loi du 13 septembre. En effet, Lefebvre estime dans “ Questions agraires sous la Terreur ” que la responsabilité de la non application ou de la très faible application de la loi du 13 septembre incombe en grande partie aux autorités locales.

En fait deux problèmes majeurs s'opposent à l'application de la loi. D'abord, le morcellement insuffisant qui ne génère pas assez de biens inférieurs à 500 livres, ensuite le maintien des enchères, qui, la dévaluation de l'assignat aidant, pousse rapidement les adjudications au delà de 500 livres. Lefebvre cite d'ailleurs le cas d'une pétition de la Société Populaire d'Aubenas, datée du 29 messidor an II, protestant contre cet état de fait qui empêche les indigents de profiter des bienfaits de la loi du 13 septembre12. Or, Lefebvre se trompe lorsqu'il conclut, d'après cette pétition, que la loi n'a pas été appliquée en Ardèche. En effet, ce département est l'un de ceux où justement les bons de 500 livres ont été distribués et utilisés dans les trois districts par plus de 100 personnes dont 76 pour la ville d'Aubenas13. Comment peut-on expliquer cela?

Le cas ardéchois démontre clairement que les administrations locales peuvent être beaucoup moins frileuses sur la question agraire que les Montagnards eux-mêmes. Les directoires de districts de l'Ardèche semblent avoir voulu prendre au mot la Convention. En effet, la loi a ainsi été présentée aux districts par Paris : “ (elle) fournit aux citoyens peu fortunés un moyen honorable autant que légitime de devenir propriétaire.. le décret du 13 septembre est l'accomplissement des promesses du 3 juin 1793 ”. La Commission des revenus nationaux rappelle que “ la vente des biens confisqués se poursuit dans toutes les parties du territoire français et même sous le feu de l'ennemi ”. Puis, après avoir énuméré les bienfaits de la loi du 13 septembre la commission exige des autorités locales un état des bénéficiaires en précisant qu'elle met “ infiniment de prix a ce que cette mesure soit promptement exécutée pour en soumettre le résultat au Comité de salut public ”.

En liant entre eux les décrets du 3 juin et du 13 septembre, la commission des revenus est logique. Sans le morcellement les bons sont inutiles, sans les bons, les indigents ne peuvent pas profiter du morcellement. Sans se préoccuper davantage des hésitations et des reculs parisiens, les Ardéchois s'appliquent à mettre en œuvre ces principes à la lettre. Dès le 2 avril 1794, le district du Mézenc attribue trois lots de 2 500 m2 à trois indigents bénéficiaires d'un bon14. La particularité de l'opération réside dans le fait que ces trois lots sont délivrés sans que les indigents ne participent aux enchères. Dans ce cas le directoire du Mézenc est logique avec la loi du 13 juin et donne toute sa signification à la loi du 13 septembre, en la violant allègrement... Cette disposition ne laisse pas indifférent les indigents des autres communes. Le 21juin, lors de la vente d'un autre domaine, 33 détenteurs de bons réclament leur lot. Sans doute inquiet de la tournure des événements, le directoire suspend la vente et la reprend deux mois plus tard sans qu'aucun bon ne soit utilisé.

Entre temps, la commission des revenus nationaux a rappelé à l'ordre le district du Mézenc, en soulignant le fait que les bons sont un “ crédit national ” qui ne dispense pas des enchères. Dépité, le Mézenc répond qu'il “ prévoit que peu de citoyens se présenteront pour réclamer les bons sachant qu'ils ne peuvent acquérir les biens des émigrés qu'en participant aux enchères. 22 citoyens de la commune de Péray vin blanc à qui nous avions attribué ces bons ne se sont pas même présentés aux enchères ”. Malgré cet échec dans le Mézenc la loi est aussi appliquée dans le Coiron. Ce district délivre les bons fin décembre 1793, à des indigents de la commune d'Aubenas. Le 27 juillet 1794 (8thermidor) un domaine soigneusement divisé en 47 lots est vendu dans cette ville. Le lendemain, 76 bénéficiaires de bons repartent propriétaires d'un lopin de terre. Dans ce cas le district du Coiron a appliqué la loi, car les bénéficiaires des bons participent aux enchères. Mais pour pouvoir profiter de leur bons, les indigents se groupent pour pouvoir acquérir des lots dont le prix se situe entre 1 500 et 6 000 livres.

Aussi la pétition envoyée à la Convention une semaine plus tôt n'est pas le signe du caractère illusoire du décret, mais d'une volonté farouche de l'appliquer. En fait Aubenas a utilisé toutes les ressources de la loi. Une circulaire, peu connue, de mai 1794 prévoyait cette possibilité d'association et autorisait le paiement des sommes dépassant 500 livres comme pour un acquéreur ordinaire. Pourtant là encore, Aubenas outrepasse le cadre strict de la loi puisque 25% des bénéficiaires sont imposés et payent entre une et six livres de contribution personnelle. Il faut dire aussi que 30% des bénéficiaires font partie de la Société Populaire qui joue un rôle actif dans l'application concrète de la loi. Ainsi, les autorités locales ne font pas barrage à la loi du 13 septembre dans le cas de l'Ardèche, elles la détournent même savamment pour tenter de lui donner une réelle application. Le district du Tanargue applique lui aussi la loi puisque le 14 frimaire an III, 30 habitants de la Souche utilisent encore les bons de 500 livres.

Il est important de souligner que le cas de l'Ardèche n'est pas unique. Si les districts de Rouen et de Clermont-Ferrand distribuent largement les bons sans qu'ils ne puissent être réellement utilisés, dans d'autres départements, tels que la Gironde15, l'Allier, le Nord, les Côtes-du-Nord, le Lot, l'Hérault, quelques dizaines de lots sont acquis par des indigents grâce aux bons. Toutefois, c'est le district de Grenoble qui fait preuve de l'attitude la plus “ sans-culotte ”. En effet, non seulement le district distribue largement les bons mais il inclut dans les ayants-droit les défenseurs de la patrie. Comme le montant du brevet de récompense qui leur a été promis par la Convention n'a pas été fixé, le directoire du district leur attribue systématiquement des bons. Il faut noter que l'agent national du district, Hilaire, tient la Convention informée de ses démarches, mais n'obtenant pas de réponse il considère sans doute que son action est approuvée. C'est ainsi qu'entre septembre 1794 et septembre 1795, le district distribue 440 hectares de biens d'émigrés à 2 256 défenseurs de la patrie, veuves et indigents. Distribue, car non seulement les bénéficiaires des bons ne participent pas aux enchères mais en plus ils n'ont même pas à se déplacer. Les officiers municipaux des communes concernées sont en effet convoqués au district lors de la vente pour enchérir fictivement une seule fois au profit de leurs ayants-droit. Le district explique d'ailleurs sa démarche, comme un moyen sûr d'empêcher tout retour de l'Ancien Régime. Il affirme qu'“ il est d'une sage politique d'intéresser les défenseurs de la patrie au service de la Révolution et d'ôter aux émigrés tout espoir de rentrer jamais dans leurs biens ”16. Cette application révolutionnaire de la loi entraîne cependant certains abus. Des biens attribués à des défenseurs de la patrie sont acquis par des civils. Plus grave, des militaires désertent pour prendre possession de leur bien. Ces abus conduisent le directoire du district de Grenoble à annuler certaines ventes frauduleuses. Cette décision attire l'attention du ministre des finances qui fait annuler l'ensemble des ventes et fait procéder à la revente normale de ces biens le 8 avril 1796. A cette date la France est sous le régime du Directoire qui place les préoccupations financières bien avant la politique agraire.

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Message  Jérôme C. Mar 21 Juil - 19:40

Ces cas d'applications concrètes de la loi du 13 septembre ne doivent pas être évalués par rapport à leur intérêt économique qui est négligeable mais par rapport à l'accueil favorable qui a été fait aux timides mesures “ sociales ” de la Convention en matière agraire. Sans qu'il soit question de réforme agraire, le fait que des administrations locales offrent à quelques centaines ou à quelques milliers de citoyens pauvres une part si minime soit-elle, des biens des émigrés a une forte signification politique. Ce fait démontre que les citoyens les plus démunis, informés par les Sociétés Populaires sont beaucoup plus attentifs aux projets de la Convention qu'on ne l'a parfois affirmé. Au delà de leurs différences et de leurs priorités, (ouvriers et artisans pauvres dans la ville manufacturière d'Aubenas, défenseurs de la patrie à Grenoble, ville proche de la frontière), les deux exemples ardéchois et isérois prouvent que la loi était effectivement applicable au plan local. Ainsi, c'est bien la timidité de la Convention qui a empêché l'application de cette mesure politiquement très ambitieuse, beaucoup plus que l'hostilité supposée des districts.

Toutes ces hésitations des conventionnels vis-à-vis des mesures agraires auxquelles aspire la paysannerie, démontrent que les Montagnards, pas plus que les Girondins, n'ont été suffisamment attentifs aux questions agraires. Ils font même parfois montre d'une totale méconnaissance des lois déjà votées. Mises à part les tentatives de juin 1793 et de Ventôse an II, destinées à attirer opportunément à eux la clientèle paysanne, ils ne proposent jamais une véritable redistribution de la terre. Il faut dire à leur décharge que deux problèmes plus importants dans leur esprit les empêchaient d'être trop généreux par rapport à la paysannerie pauvre. Le premier provient de la guerre intérieure et extérieure qu'ils doivent soutenir sur tous les fronts. Le seul moyen de la financer demeure les assignats, et la vente des biens des émigrés constitue l'unique gage tangible de cette monnaie entre 1793 et 1794. Cette circonstance interdisait donc de donner gratuitement la terre aux paysans. Le second problème est lié à l'obsession du ravitaillement des villes et en premier lieu de Paris. Or beaucoup de défenseurs des sans-culottes hésitent à trop favoriser le petit propriétaire auto-suffisant au détriment des grandes exploitations. Ces dernières produisant les excédents vendus sur les marchés urbains, leur disparition risquerait d'entraîner la famine dans les villes qui constituent le soutien essentiel de la Montagne. Aussi, l'intérêt des paysans qui attendaient beaucoup, et depuis 1789, des mesures agraires, a-t-il sans doute été finalement sacrifié, tant par la Constituante que par la Convention.

Pourtant Saint-Just a bien mesuré l'impact possible d'une véritable politique agraire lorsqu'il écrit dans ses notes : “ Je défie que la liberté s'établisse s'il est possible qu'on puisse soulever les malheureux contre le nouvel ordre de chose; Je défie qu'il n'y ait plus de malheureux si l'on ne fait en sorte que chacun ait des terres... Il faut détruire la mendicité par la distribution des biens nationaux ”. Saint Just avait compris, mais trop tard, l'importance de la question agraire. Malgré les tentatives ponctuelles de certains districts “ sans-culottes ” et la mise en place tardive des lois de ventôse, la Montagne, pas plus que la Gironde, n'a su s'attirer la confiance et le soutien de la paysannerie.

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Message  Jérôme C. Ven 2 Nov - 9:15


2 novembre 1789 : l’Assemblée nationale constituante met les biens du clergé « à la disposition de la Nation »

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Par définition un historien se doit d'éclairer certaines zones d'ombres du passé. Ayant de droit accès à toutes les archives ouvertes, il s'appuie sur ses recherches pour délivrer ses résultats, quitte à briser quelques clichés.

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Message  Jérôme C. Mar 10 Mai - 8:38

les biens nationaux Vkuf6w

les biens nationaux 7v82i8

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Message  Jérôme C. Mar 10 Mai - 8:38

les biens nationaux Si3sac

les biens nationaux 3tzqsc

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Message  Jérôme C. Sam 30 Mar - 17:58

directive concernant les acquéreurs de domaines nationaux en l'an 11

les biens nationaux Wxvroq

les biens nationaux Cqg981

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