Troupes noires
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Troupes noires
Toujours récupéré dans les "Napoleon series": une histoire des troupes noires par le colonel Carles, ancien conservateur du Musée de l'infanterie et spécialiste de l'histoire napolitaine.
Un régiment noir sous le premier Empire
Par le Commandant CARLES
(extrait du Carnet n° 434).
En 1944, lorsque les tirailleurs noirs de la 1ère Division de la France Libre
foulaient les quais de Naples ou les pentes rocheuses du Garigliano,
songeaient-ils que, moins de cent cinquante ans plus tôt, des soldats de leur
race déjà avaient vécu, combattu, peiné et sans doute ri dans ces mêmes lieux
? Des soldats noirs que l’on appela successivement les Hommes de couleur, les
Pionniers noirs. Royal Africain et, dans le peuple napolitain, I Mori. Ils
servirent pendant sept ans en Italie et leurs derniers débris se montrèrent
jusqu’au fond de la Prusse dans les murs de Dantzig. Leurs aventures semblent
avoir généralement échappé même aux historiens des troupes coloniales, et
pourtant elles ne sont pas indignes d’être contées.
Lorsque après la Paix d’Amiens Bonaparte eût entrepris de mettre sérieusement
de l’ordre dans le pays, l’Armée, qui en avait grand besoin, n’échappa pas à
la reprise en main. Après avoir rappelé ou précisé les règlements généraux, le
Premier Consul eût à régler le sort des corps un peu particuliers, ceux que
l’on appelait alors les Corps hors-ligne. Les diverses inspections passées
pour y voir clair dans les effectifs et l’administration, où le Directoire
avait laissé s’installer une grande… disons confusion, firent ressortir qu’un
assez grand nombre de Noirs existaient en France à la charge des départements
de la Guerre et de la Marine.
Ces Noirs se répartissaient au printemps de 1802 en trois groupes :
– d’abord ceux qui, individuellement, avaient été recrutés par les régiments
en service outre-mer,
– ensuite ceux qui formaient des unités entièrement noires,
– enfin ceux qui étaient détenus ou assignés à résidence pour des raisons
politiques.
– Le premier groupe comprenait le plus souvent des tambours ou des musiciens
(dont la peau noire était censée rehausser le pittoresque des têtes de
colonne) et plus rarement des soldats du rang; leur statut était celui des
autres tambours, musiciens ou soldats de la République.
– Dans le second groupe on ne pouvait guère ranger, en Métropole que le »
Bataillon des Cipayes » ou de Chasseurs africains alors en formation aux
environs de Brest pour l’expédition de l’Isle de France; bien entendu il y
avait dans nos possessions coloniales des unités noires qui sortent du sujet
de cet article.
– Le troisième groupe était semble-t-il, numériquement le plus important. Il
comprenait surtout des anciens partisans de Toussaint Louverture, des révoltés
d’Haïti que le général Leclerc venait de réduire et dont il avait envoyé en
France les éléments les plus turbulents pour ramener le calme dans l’île. S’y
ajoutaient à l’occasion quelques échappés des Antilles ou des possessions de
l’Océan Indien, des matelots déserteurs ou d’anciens domestiques réduits à la
misère. Ces Noirs-là, selon le risque qu’on les soupçonnait de représenter
pour l’ordre public, étaient confinés dans des forteresses, assignés à
résidence dans les municipalités ou emprisonnés. Les pires étaient au bagne
d’Ajaccio où ils formaient, nègres de sac et de corde, trois compagnies
spéciales.
Dès le mois de mai 1802, Bonaparte décida de placer les moins dangereux de ces
gens dans des Compagnies d’Hommes de couleur placées dans les îles. L’arrêté
du 9 prairial an X (29 mai 1802) créait trois compagnies dont les officiers
seraient Blancs et le reste de Noirs, la 1ère en garnison à l’Ile d’Aix, la 2e
aux Iles d’Hyères et la 3e à l’Ile d’Oléron. Les officiers furent généralement
des officiers âgés placés à la suite des régiments et peu aptes au service
actif; les hommes furent pris parmi ceux qui n’étaient pas en cours
d’inculpation ou qui avaient été frappés de peines légères et qui étaient
physiquement aptes. Ces compagnies étaient armées mais devaient principalement
faire des travaux. Le 1er fructidor an X, un autre arrêté établissait une 4e
compagnie analogue à l’Ile Sainte-Marguerite. Les compagnies s’organisèrent
dans le courant de 1802 sans atteindre, semble-t-il, un effectif considérable.
Malgré les termes du décret de création, elles eurent déjà des officiers
noirs, mais placés à la suite c’est-à-dire en sureffectif, tels les
lieutenants Lapommeraye et Letellier à la 3e compagnie.
Dans les premiers mois de 1803, ces compagnies s’avérant peu utiles dans les
îles, le Premier Consul prescrivit de les envoyer à Mantoue où l’on avait
besoin de main-d’œuvre et où il leur serait plus difficile d’être soudoyées
éventuellement par l’Angleterre qui allait reprendre les hostilités. Ces
compagnies se mirent donc en route le 21 mars pour l’Italie où elles
arrivèrent fin avril.
Bien qu’elles fussent encore des compagnies autonomes, il semble qu’on les ait
déjà considérées comme un bataillon puisque dans un rapport du 12 floréal an
XI (2 mai 1803) le chef de bataillon Hercule rend compte qu’il a pris à
Mantoue le commandement du » Bataillon de Couleur « , soit 89 officiers,
sous-officiers et soldats. Curieuse et pittoresque figure que cet Hercule de
nom et de stature, prénommé Joseph Domingo : né nègre vers 1759 à
Saint-Christophe dans l’île de Cuba soldat en 1784 au 7e régiment d’infanterie
alors Champagne, il avait été officier aux chasseurs à cheval de la Garde des
Consuls et avait chargé brillamment à Marengo; il était généralement estimé
dans l’Armée (1).
Vers le même temps on avait remis de l’ordre dans l’expédition qui se formait
à Brest sous le général Decaen pour l’Isle de France et, en particulier, le
Bataillon de Chasseurs africains avait été dissous. On en avait tiré un
détachement d’environ six compagnies d’hommes de couleur qui, commandé par le
capitaine d’état-major Froment, quitta sur ordre du Ministre Landerneau le 9
mai 1803 pour se rendre à Mantoue.
Pendant qu’il était en route, le Premier Consul publia l’arrêté du 21 floréal
an XI (10 mai 1803) instituant le Bataillon de Pionniers noirs.
Cet arrêté prescrivait que » les Compagnies d’Hommes noirs qui se trouvent à
Mantoue et celles qui s’y rendent » formeraient un bataillon appelé Bataillon
de Pionniers, prévu pour avoir un état-major et neuf compagnies à 110 hommes,
le tout donnant un effectif de 1 000 hommes dont 40 officiers. Tous les
officiers seraient Blancs. Chose assez curieuse, il y aurait des capitaines en
premier et des capitaines en second, des lieutenants de 1ère classe et des
lieutenants de 2e, ce qui tendrait à laisser croire qu’on assimila plus ou
moins, à la création, la hiérarchie de ces officiers à celle des officiers du
génie où pareils grades existaient.
L’article 4 disposait que le bataillon serait armé de fusils, mais employé
spécialement aux travaux de fortifications sous les ordres du Directeur et des
officiers du génie. L’uniforme serait de la coupe et de la couleur de celui de
l’infanterie de ligne, à l’exception de l’habit qui serait en drap brun avec
les revers et les parements rouges. Pour l’administration et la discipline, le
bataillon serait sur le même pied qu’un bataillon isolé d’infanterie. Enfin,
au cas où suffisamment de Noirs pourraient être ultérieurement envoyés à
Mantoue, un 2e bataillon de même force serait constitué.
Le chef de bataillon Hercule qui ne manquait ni de compétence ni de bon sens
essaya tout de suite d’organiser son bataillon. Les éléments venus des
Compagnies d’Hommes noirs étaient disparates et pittoresques. Le capitaine
Guérimand, de la compagnie de l’Ile d’Aix, avait 52 ans et avait rang de chef
de bataillon en réforme, le sous-lieutenant Piquet, 47 ans, le capitaine
Aldebert, de l’Ile d’Oléron, chef de bataillon réformé aussi, 40 ans; le
capitaine De Beer, de la compagnie des Iles d’Hyères, avait fait un an de
prison pour s’être battu en duel avec un sergent; le plus jeune officier, le
sous-lieutenant Lecontour, avait 33 ans comme aussi l’officier de santé
Ferrer, mulâtre de La Martinique. Les éléments venus des Chasseurs africains
étaient beaucoup plus solides. La plupart des officiers et des sous-officiers
avaient vu le feu depuis longtemps et leur âge moyen les rendait infiniment
plus propres au service actif. On n’ y comptait pas moins quelques personnages
bizarres comme le capitaine Deshorties, accusé d’insubordination par le
capitaine Froment et acquitté par le Conseil de guerre de Brest tandis que
Froment lui-même après vérification, n’était plus considéré que comme
lieutenant. Les Noirs qui formaient la troupe étaient tous d’anciens esclaves,
mais beaucoup avaient combattu, surtout dans la guérilla sous Toussaint
Louverture. Cet apprentissage allait bien leur servir contre les brigands
napolitains. Sur les listes nominatives du corps, on trouve quelques noms
savoureux, tels ceux des fusiliers-pionniers Alcindor, Congo, Paris ou
Sainte-Marie.
Hercule, mettant ses compagnies sur pied, reçut un renfort substantiel quand
les différents tribunaux et conseils de guerre eurent jugé les officiers et
soldats noirs poursuivis pour leurs actions à Saint-Domingue ou a La
Guadeloupe, car la plupart des prévenus acquittés furent mutés au Bataillon de
Pionniers. Ainsi le bataillon reçut-il plusieurs de ceux qu’ on appelait des
officiers provisoires et qui étaient des Noirs ayant eu des grades dans
l’armée de Toussaint Louverture et renvoyés en France par mesure de
précaution. Parmi eux, Borne de Léard était chef de brigade de cavalerie,
Birot chef de brigade d’infanterie, Brunache et Papillon chefs de bataillon.
Tous devaient être incorporés comme simples soldats quel que fut leur grade
provisoire obtenu à Saint-Domingue. Ce qui n’alla pas sans mal. Ils
rejoignirent, après diverses péripéties, dans les derniers mois de 1803 ou au
début de 1804 Toussaint Louverture, » le premier des Noirs « , était mort au
Fort de Joux et celui qu il appelait » le premier des Blancs » allait être
fait Empereur.
Le bataillon reçut aussi trois officiers blancs détenus à la prison de la
Grande Force : les capitaines Decourty, Conseil et La Jaille; Decourty devint
adjudant-major du bataillon et les autres capitaines en second.
Au cours de l’année 1805, le Bataillon des Pionniers noirs fut poussé de
Mantoue en Frioul et en Vénétie Julienne où de nombreux travaux de
fortifications étaient nécessaires en raison de la guerre contre l’Autriche.
Les neuf compagnies étaient complètes en cadres sinon en troupe.
A la fin de 1805 ; les vieux officiers inaptes physiquement comme Guérimand et
Aldebert, ou moralement comme De Beer, avaient été retraités.
Au mois de décembre, les Pionniers subirent leurs premières pertes en
officiers : le capitaine Mirlin, de la 3e compagnie, fut tué à l’attaque de
Fiume et le capitaine Delaruelle blessé, qui mourra le 19 décembre. Au cours
de la même affaire furent blessés les capitaines Loquet et Décamps et surtout
le brave chef de bataillon Hercule, que cette blessure contraignit à demander
sa retraite. Le bataillon perdit son chef Noir qui fut remplacé par le chef de
bataillon Guyard, un Blanc.
Lorsque la campagne de Naples se décida, l’Empereur écrivit vers la fin de
février 1806, au vice-roi Eugène d’envoyer le Bataillon de Pionniers noirs à
l’Armée de Naples. Le bataillon comptait alors 680 hommes dont 58 officiers,
soit 68 % de son complet. Les neuf compagnies avaient chacune deux capitaines,
un lieutenant et un sous-lieutenant; l’état-major comptait dix personnes dont
quatre officiers; il y avait quatre officiers à la suite dont deux Noirs et
quatorze officiers réformés tous Noirs et lieutenants. Les Pionniers se mirent
en marche de Palmanova dans les premiers jours de mars pour arriver en avril
devant Gaëte, en pleine action du siège. Ce siège de Gaëte de 1806, qui fut
très dur et passablement meurtrier, est injustement méconnu.
L’acharnement y fut grand des deux côtés et les Bourboniens y pratiquèrent une
rude guerre de partisans sur les arrières des assiégeants, qui préfigurait les
guérillas d’Espagne. Revenons à nos Noirs. Il est vraisemblable qu’on les
employa d’abord comme pionniers à remuer la terre, puis à garder des points
secondaires, puis enfin comme des fantassins, car, il faut le remarquer, tous
les avis contemporains sont unanimes sur la valeur au feu de ces soldats de
couleur. De mai à juillet 1806, le bataillon eût devant Gaëte un officier tué,
le capitaine Grillard de la 9e Compagnie, frappé le 15 mai, et cinq officiers
blessés dont le capitaine adjudant-major Decourty et les capitaines noirs
Lapommeraye et Hypolite. Les pertes dans la troupe sont difficiles à évaluer
car dans le même temps le bataillon recevait de nouvelles recrues pour se
recompléter.
Gaëte tomba le 18 juillet 1806. Cependant, le roi Joseph avait apprécié la
valeur du bataillon des Pionniers noirs et demandé à le prendre au service
napolitain. La nouvelle armée napolitaine se formait difficilement et un
bataillon solide et bien encadré y était le bienvenu. Peut-être aussi
l’Empereur voulait-il se débarrasser d’une unité un peu trop particulière,
tout en aidant son frère. Quoiqu’il en soit, le 14 août 1806, les Pionniers
noirs passèrent au service de Naples à l’effectif de 47 officiers et 821
hommes de troupe. Dès septembre des détachements furent envoyés à la poursuite
de Fra Diavolo dans les rudes montagnes des Abruzzes, sous les ordres du major
Hugo, père du poète Victor Hugo. Ils connurent les gorges d’Acquafondata, que
la campagne de 1944 ramènera à la célébrité temporaire, et prirent part au
combat de Boiano, au pied du Matese, en octobre Hugo, dans ses Mémoires,
témoigne que les Noirs s’engagèrent » avec leur valeur habituelle » dans un
combat où, la pluie ayant mouillé la poudre, on se battit à coups de
baïonnettes, de crosses, de poignards et de poings. Fra Diavolo devait être
pris le 27 octobre et pendu à Naples. D’autres insurgés et brigands allaient
apprendre à connaître les soldats noirs que le menu peuple napolitain appelait
» I Mori « .
Le 10 novembre 1806, les Pionniers noirs prenaient le nom de Régiment Royal
Africain, mais, bien que prévus pour avoir deux bataillons, ils allaient
rester encore plusieurs années à un seul. Au 1er janvier 1807, ils ne
comptaient plus que 43 officiers et 560 hommes de troupe, ce qui trahit une
perte considérable de deux cent soixante hommes en six mois de campagne. Il ne
faut pas perdre de vue qu’à cette époque le séjour aux hôpitaux était huit
fois plus meurtrier que le champ de bataille proprement dit. Pourtant Royal
Africain n’allait pas pour cela cesser de faire la rude et décevante guerre de
montagne, entremêlée de combats classiques. En février 1807, un détachement se
signala à l’assaut d’Amantea où le capitaine Jacquemin fut blessé. Toujours en
Calabre, le 14 février, un autre détachement prit part à l’affaire de Scalea
où fut blessé le sous-lieutenant Lavenade. Le capitaine Ciolli fut blessé par
les brigands le 10 avril. La liste de toutes les escarmouches où se trouva le
corps serait insipide : les guérillas n’offrent qu’une suite d’actions
mineures, mais représentant des quantités de marches, de souffrances et de
déceptions pour bien peu de satisfactions. Cependant les pertes restaient
stationnaires : au 1er janvier 1808 Royal Africain comptait 563 hommes de
troupe et seulement 25 officiers. Il avait été largement pompé par le roi qui
avait besoin de cadres pour son armée. Le colonel Guyard estimait possible de
recruter à prix d’argent des gens de couleur dans les ports de mer du Royaume
et de l’Empire, afin de porter enfin le régiment à deux bataillons. En
attendant, le Ministre de la Guerre de France venait d’ordonner de muter à
Royal Africain un millier de Noirs assignés à résidence en Corse. Il
s’agissait des individus jugés dangereux en 1802 et envoyés au bagne
d’Ajaccio, puis encadrés en compagnies de travailleurs.
En réalité, ce renfort, considérable sur le papier, allait se dissoudre en
route par la maladie, la relégation des mauvais sujets et les multiples
lenteurs de l’administration. En septembre 1808, 109 recrues seulement étaient
arrivées au corps, qui dépassait à peine six cents hommes. Il y avait du
moins, toujours assidûment à la suite, un grand nombre d’officiers noirs qu’on
n’arrivait sans doute pas à placer ailleurs. En octobre un détachement de la
valeur d’une compagnie prit part à la prise de Capri, ou les Noirs se
conduisirent bien, à leur habitude. Mais au 1er janvier 1809, le corps était
tombé à 31 officiers et 424 hommes. Le roi Joachim n’ayant pas plus d’argent
que son prédécesseur n’était pas mieux en mesure de recruter contre espèces
sonnantes des nègres dans les ports. Au prix d’un nouvel effort, en
aiguillonnant l’administration de Corse, l’effectif monta à 581 en mai,
lorsqu’une malheureuse affaire vint faire perdre d’autres soldats noirs : le
26 juin 1809, au cours d’un engagement naval dans le Canal de Procida,
quarante-sept fusiliers de Royal Africain embarqués comme garnison des
canonnières furent noyés ou pris par les Anglo-Siciliens.
A partir de là Royal Africain en tant que régiment purement noir ne cessa de
décliner. Alors que le restant de l’Armée napolitaine se recrutait par la
conscription, les Noirs ne pouvaient recruter qu’à prix d’argent, et l’Etat
n’avait pas le sou. Le 1er janvier 1810, le régiment avait 31 officiers et 594
hommes de troupe, mais il n’y avait plus de nègres en Corse et le Trésor
napolitain était toujours désespérément en difficultés. C’est probablement ce
qui décida, dans le courant de 1810 le roi Joachim à transformer Royal
Africain en un régiment de ligne ordinaire qu’on pourrait alimenter par la
conscription napolitaine. Le décret du 17 décembre 1810 décidait qu’il serait
créé un 7e Régiment d’infanterie de ligne » dont le Bataillon Royal Africain
serait le noyau » et qui aurait trois bataillons.
Dès lors, le régiment d’Hommes noirs était mort et les recrues napolitaines
allaient dépasser en nombre les nègres dans les rangs. Au 1er janvier 1812, le
régiment comptait 2 347 hommes et 79 officiers, sur lesquels moins de quatre
cents Noirs. C’est sous cette forme qu’il allait s’illustrer une dernière fois
en Prusse au siège de Dantzig. Le corps avait alors abandonné l’habit brun
pour celui à fond blanc de l’infanterie napolitaine avec la distinctive jaune
paille. Le sergent Bourgogne raconte dans ses Mémoires comment il rencontra en
Prusse ses sapeurs, noirs pour la plupart, et coiffés d’un bonnet à poils
blanc. Plusieurs officiers noirs y servaient encore et un dessin allemand
contemporain nous montre l’un d’eux à Dantzig, en habit blanc à revers et
parements jaunes et coiffé du schako. A Dantzig le 2 septembre 1813 fut blessé
mortellement Froment qui avait emmené le détachement des Chasseurs africains
de Brest en 1803 et qui mourait, toujours capitaine, dix ans plus tard. Le
colonel Guyard avait quitté son commandement en 1811 ; on retrouve Deshorties
capitaine au 2e Vélites à pied de la Garde napolitaine en 1812, Loubiès
commandant la place de Monteleone en Calabre, Roucy au 2e Léger napolitain; le
capitaine noir Hypolite avait été aide de camp du général Compère en 1809.
Combien de Noirs des débuts revinrent-ils en 1814 des épreuves de Dantzig et
de la campagne d’Allemagne? Les archives ne le disent pas. Peut-être
quelques-uns restèrent-ils dans le royaume de Naples, même après le retour des
Bourbons, portiers de maisons nobles ou serviteurs de généraux retraités,
rêvant en tirant sur leur pipe des palmiers de Saint-Domingue, des champs de
canne à sucre, des embuscades de Calabre ou des neiges de la Prusse orientale?
Et les bambins dépenaillés des vicoli devaient regarder avec étonnement et
craintes noirs comme l’Erèbe, débris d’épopée, venus vieillir à tant de
milliers de lieux de leur terre natale, à l’ombre du Vésuve.
NOTE ANNEXE
II est au moins curieux de constater que le régiment » Royal Africain »
conserva longtemps après être passé au service napolitain un drapeau français.
Un rapport adressé le 29 janvier 1811 au Ministre de la Guerre et Marine de
Naples nous l’apprend : » Monsieur le colonel Macdonald commandant le régiment
Royal Africain, annonce que ce régiment conserve encore l’aigle français (sic)
; il prie Votre Excellence de lui dire si cet aigle ne doit pas être remplacé
par le drapeau de Sa Majesté?
Et le rédacteur de proposer : » Votre Excellence jugera sans doute à propos
d’écrire au colonel Macdonald qu’il n’y a pas de doute que le drapeau de Sa
Majesté doit être substitué à l’aigle que porte le Corps Royal Africain devenu
le noyau du 7e de ligne. » A quoi le Ministre répond : » Approuvé. Lui dire
que le Ministre donne des ordres pour que le drapeau lui soit remis… »
(Archivio di Stato di Napoli – Sezione Guerra e Marina. N° 1392. Note à la 2°
Division).
– Par ailleurs, une lettre de Macdonald, jointe à cette correspondance précise
que le 1er Bataillon du Corps a encore l’aigle des Pionniers noirs français,
qui lui fut remise par l’Empereur. Or, si l’on sait peu de choses précises sur
les drapeaux napolitains sous les rois Joseph et Joachim, on est toutefois à
peu près certain que les régiments de ligne eurent au moins dans l’été de 1810
des drapeaux nationaux, et l’on peut même penser que certains de ces régiments
eurent des emblèmes dès 1808. Royal Africain, étant alors, avec Royal Corse,
un corps étranger a pu être considéré comme un cas particulier et conserver,
en attendant une décision, l’aigle reçue à Mantoue, du modèle 1804 emblème
unique puisque le corps n’avait qu’un seul bataillon.
(1) N.D.L.R. – Sur la liste des militaires de l’Armée d’Italie auxquels le 21
brumaire an VI (11 novembre 1797) le général en chef Bonaparte a fait
attribuer un sabre d’honneur figure Hercule, capitaine des Guides à cheval.
Cf. » Les cent sabres de l’Armée d’Italie « , in Carnet de la Sabretache,
année 1936, p. 223.
Par ailleurs Frédéric Masson qui rapporte dans son ouvrage Cavaliers de
Napoléon la carrière militaire de ce singulier personnage mentionne que le
sabre d’honneur d’Hercule portait l’inscription gravée : » Pour avoir à la
tête de vingt-cinq Guides renversé une colonne autrichienne à la bataille
d’Arcole. » Cf. Frédéric MASSON, Cavaliers de Napoléon, Paris, 1906. p. 358 à
361.
Amicalement
Marc
Un régiment noir sous le premier Empire
Par le Commandant CARLES
(extrait du Carnet n° 434).
En 1944, lorsque les tirailleurs noirs de la 1ère Division de la France Libre
foulaient les quais de Naples ou les pentes rocheuses du Garigliano,
songeaient-ils que, moins de cent cinquante ans plus tôt, des soldats de leur
race déjà avaient vécu, combattu, peiné et sans doute ri dans ces mêmes lieux
? Des soldats noirs que l’on appela successivement les Hommes de couleur, les
Pionniers noirs. Royal Africain et, dans le peuple napolitain, I Mori. Ils
servirent pendant sept ans en Italie et leurs derniers débris se montrèrent
jusqu’au fond de la Prusse dans les murs de Dantzig. Leurs aventures semblent
avoir généralement échappé même aux historiens des troupes coloniales, et
pourtant elles ne sont pas indignes d’être contées.
Lorsque après la Paix d’Amiens Bonaparte eût entrepris de mettre sérieusement
de l’ordre dans le pays, l’Armée, qui en avait grand besoin, n’échappa pas à
la reprise en main. Après avoir rappelé ou précisé les règlements généraux, le
Premier Consul eût à régler le sort des corps un peu particuliers, ceux que
l’on appelait alors les Corps hors-ligne. Les diverses inspections passées
pour y voir clair dans les effectifs et l’administration, où le Directoire
avait laissé s’installer une grande… disons confusion, firent ressortir qu’un
assez grand nombre de Noirs existaient en France à la charge des départements
de la Guerre et de la Marine.
Ces Noirs se répartissaient au printemps de 1802 en trois groupes :
– d’abord ceux qui, individuellement, avaient été recrutés par les régiments
en service outre-mer,
– ensuite ceux qui formaient des unités entièrement noires,
– enfin ceux qui étaient détenus ou assignés à résidence pour des raisons
politiques.
– Le premier groupe comprenait le plus souvent des tambours ou des musiciens
(dont la peau noire était censée rehausser le pittoresque des têtes de
colonne) et plus rarement des soldats du rang; leur statut était celui des
autres tambours, musiciens ou soldats de la République.
– Dans le second groupe on ne pouvait guère ranger, en Métropole que le »
Bataillon des Cipayes » ou de Chasseurs africains alors en formation aux
environs de Brest pour l’expédition de l’Isle de France; bien entendu il y
avait dans nos possessions coloniales des unités noires qui sortent du sujet
de cet article.
– Le troisième groupe était semble-t-il, numériquement le plus important. Il
comprenait surtout des anciens partisans de Toussaint Louverture, des révoltés
d’Haïti que le général Leclerc venait de réduire et dont il avait envoyé en
France les éléments les plus turbulents pour ramener le calme dans l’île. S’y
ajoutaient à l’occasion quelques échappés des Antilles ou des possessions de
l’Océan Indien, des matelots déserteurs ou d’anciens domestiques réduits à la
misère. Ces Noirs-là, selon le risque qu’on les soupçonnait de représenter
pour l’ordre public, étaient confinés dans des forteresses, assignés à
résidence dans les municipalités ou emprisonnés. Les pires étaient au bagne
d’Ajaccio où ils formaient, nègres de sac et de corde, trois compagnies
spéciales.
Dès le mois de mai 1802, Bonaparte décida de placer les moins dangereux de ces
gens dans des Compagnies d’Hommes de couleur placées dans les îles. L’arrêté
du 9 prairial an X (29 mai 1802) créait trois compagnies dont les officiers
seraient Blancs et le reste de Noirs, la 1ère en garnison à l’Ile d’Aix, la 2e
aux Iles d’Hyères et la 3e à l’Ile d’Oléron. Les officiers furent généralement
des officiers âgés placés à la suite des régiments et peu aptes au service
actif; les hommes furent pris parmi ceux qui n’étaient pas en cours
d’inculpation ou qui avaient été frappés de peines légères et qui étaient
physiquement aptes. Ces compagnies étaient armées mais devaient principalement
faire des travaux. Le 1er fructidor an X, un autre arrêté établissait une 4e
compagnie analogue à l’Ile Sainte-Marguerite. Les compagnies s’organisèrent
dans le courant de 1802 sans atteindre, semble-t-il, un effectif considérable.
Malgré les termes du décret de création, elles eurent déjà des officiers
noirs, mais placés à la suite c’est-à-dire en sureffectif, tels les
lieutenants Lapommeraye et Letellier à la 3e compagnie.
Dans les premiers mois de 1803, ces compagnies s’avérant peu utiles dans les
îles, le Premier Consul prescrivit de les envoyer à Mantoue où l’on avait
besoin de main-d’œuvre et où il leur serait plus difficile d’être soudoyées
éventuellement par l’Angleterre qui allait reprendre les hostilités. Ces
compagnies se mirent donc en route le 21 mars pour l’Italie où elles
arrivèrent fin avril.
Bien qu’elles fussent encore des compagnies autonomes, il semble qu’on les ait
déjà considérées comme un bataillon puisque dans un rapport du 12 floréal an
XI (2 mai 1803) le chef de bataillon Hercule rend compte qu’il a pris à
Mantoue le commandement du » Bataillon de Couleur « , soit 89 officiers,
sous-officiers et soldats. Curieuse et pittoresque figure que cet Hercule de
nom et de stature, prénommé Joseph Domingo : né nègre vers 1759 à
Saint-Christophe dans l’île de Cuba soldat en 1784 au 7e régiment d’infanterie
alors Champagne, il avait été officier aux chasseurs à cheval de la Garde des
Consuls et avait chargé brillamment à Marengo; il était généralement estimé
dans l’Armée (1).
Vers le même temps on avait remis de l’ordre dans l’expédition qui se formait
à Brest sous le général Decaen pour l’Isle de France et, en particulier, le
Bataillon de Chasseurs africains avait été dissous. On en avait tiré un
détachement d’environ six compagnies d’hommes de couleur qui, commandé par le
capitaine d’état-major Froment, quitta sur ordre du Ministre Landerneau le 9
mai 1803 pour se rendre à Mantoue.
Pendant qu’il était en route, le Premier Consul publia l’arrêté du 21 floréal
an XI (10 mai 1803) instituant le Bataillon de Pionniers noirs.
Cet arrêté prescrivait que » les Compagnies d’Hommes noirs qui se trouvent à
Mantoue et celles qui s’y rendent » formeraient un bataillon appelé Bataillon
de Pionniers, prévu pour avoir un état-major et neuf compagnies à 110 hommes,
le tout donnant un effectif de 1 000 hommes dont 40 officiers. Tous les
officiers seraient Blancs. Chose assez curieuse, il y aurait des capitaines en
premier et des capitaines en second, des lieutenants de 1ère classe et des
lieutenants de 2e, ce qui tendrait à laisser croire qu’on assimila plus ou
moins, à la création, la hiérarchie de ces officiers à celle des officiers du
génie où pareils grades existaient.
L’article 4 disposait que le bataillon serait armé de fusils, mais employé
spécialement aux travaux de fortifications sous les ordres du Directeur et des
officiers du génie. L’uniforme serait de la coupe et de la couleur de celui de
l’infanterie de ligne, à l’exception de l’habit qui serait en drap brun avec
les revers et les parements rouges. Pour l’administration et la discipline, le
bataillon serait sur le même pied qu’un bataillon isolé d’infanterie. Enfin,
au cas où suffisamment de Noirs pourraient être ultérieurement envoyés à
Mantoue, un 2e bataillon de même force serait constitué.
Le chef de bataillon Hercule qui ne manquait ni de compétence ni de bon sens
essaya tout de suite d’organiser son bataillon. Les éléments venus des
Compagnies d’Hommes noirs étaient disparates et pittoresques. Le capitaine
Guérimand, de la compagnie de l’Ile d’Aix, avait 52 ans et avait rang de chef
de bataillon en réforme, le sous-lieutenant Piquet, 47 ans, le capitaine
Aldebert, de l’Ile d’Oléron, chef de bataillon réformé aussi, 40 ans; le
capitaine De Beer, de la compagnie des Iles d’Hyères, avait fait un an de
prison pour s’être battu en duel avec un sergent; le plus jeune officier, le
sous-lieutenant Lecontour, avait 33 ans comme aussi l’officier de santé
Ferrer, mulâtre de La Martinique. Les éléments venus des Chasseurs africains
étaient beaucoup plus solides. La plupart des officiers et des sous-officiers
avaient vu le feu depuis longtemps et leur âge moyen les rendait infiniment
plus propres au service actif. On n’ y comptait pas moins quelques personnages
bizarres comme le capitaine Deshorties, accusé d’insubordination par le
capitaine Froment et acquitté par le Conseil de guerre de Brest tandis que
Froment lui-même après vérification, n’était plus considéré que comme
lieutenant. Les Noirs qui formaient la troupe étaient tous d’anciens esclaves,
mais beaucoup avaient combattu, surtout dans la guérilla sous Toussaint
Louverture. Cet apprentissage allait bien leur servir contre les brigands
napolitains. Sur les listes nominatives du corps, on trouve quelques noms
savoureux, tels ceux des fusiliers-pionniers Alcindor, Congo, Paris ou
Sainte-Marie.
Hercule, mettant ses compagnies sur pied, reçut un renfort substantiel quand
les différents tribunaux et conseils de guerre eurent jugé les officiers et
soldats noirs poursuivis pour leurs actions à Saint-Domingue ou a La
Guadeloupe, car la plupart des prévenus acquittés furent mutés au Bataillon de
Pionniers. Ainsi le bataillon reçut-il plusieurs de ceux qu’ on appelait des
officiers provisoires et qui étaient des Noirs ayant eu des grades dans
l’armée de Toussaint Louverture et renvoyés en France par mesure de
précaution. Parmi eux, Borne de Léard était chef de brigade de cavalerie,
Birot chef de brigade d’infanterie, Brunache et Papillon chefs de bataillon.
Tous devaient être incorporés comme simples soldats quel que fut leur grade
provisoire obtenu à Saint-Domingue. Ce qui n’alla pas sans mal. Ils
rejoignirent, après diverses péripéties, dans les derniers mois de 1803 ou au
début de 1804 Toussaint Louverture, » le premier des Noirs « , était mort au
Fort de Joux et celui qu il appelait » le premier des Blancs » allait être
fait Empereur.
Le bataillon reçut aussi trois officiers blancs détenus à la prison de la
Grande Force : les capitaines Decourty, Conseil et La Jaille; Decourty devint
adjudant-major du bataillon et les autres capitaines en second.
Au cours de l’année 1805, le Bataillon des Pionniers noirs fut poussé de
Mantoue en Frioul et en Vénétie Julienne où de nombreux travaux de
fortifications étaient nécessaires en raison de la guerre contre l’Autriche.
Les neuf compagnies étaient complètes en cadres sinon en troupe.
A la fin de 1805 ; les vieux officiers inaptes physiquement comme Guérimand et
Aldebert, ou moralement comme De Beer, avaient été retraités.
Au mois de décembre, les Pionniers subirent leurs premières pertes en
officiers : le capitaine Mirlin, de la 3e compagnie, fut tué à l’attaque de
Fiume et le capitaine Delaruelle blessé, qui mourra le 19 décembre. Au cours
de la même affaire furent blessés les capitaines Loquet et Décamps et surtout
le brave chef de bataillon Hercule, que cette blessure contraignit à demander
sa retraite. Le bataillon perdit son chef Noir qui fut remplacé par le chef de
bataillon Guyard, un Blanc.
Lorsque la campagne de Naples se décida, l’Empereur écrivit vers la fin de
février 1806, au vice-roi Eugène d’envoyer le Bataillon de Pionniers noirs à
l’Armée de Naples. Le bataillon comptait alors 680 hommes dont 58 officiers,
soit 68 % de son complet. Les neuf compagnies avaient chacune deux capitaines,
un lieutenant et un sous-lieutenant; l’état-major comptait dix personnes dont
quatre officiers; il y avait quatre officiers à la suite dont deux Noirs et
quatorze officiers réformés tous Noirs et lieutenants. Les Pionniers se mirent
en marche de Palmanova dans les premiers jours de mars pour arriver en avril
devant Gaëte, en pleine action du siège. Ce siège de Gaëte de 1806, qui fut
très dur et passablement meurtrier, est injustement méconnu.
L’acharnement y fut grand des deux côtés et les Bourboniens y pratiquèrent une
rude guerre de partisans sur les arrières des assiégeants, qui préfigurait les
guérillas d’Espagne. Revenons à nos Noirs. Il est vraisemblable qu’on les
employa d’abord comme pionniers à remuer la terre, puis à garder des points
secondaires, puis enfin comme des fantassins, car, il faut le remarquer, tous
les avis contemporains sont unanimes sur la valeur au feu de ces soldats de
couleur. De mai à juillet 1806, le bataillon eût devant Gaëte un officier tué,
le capitaine Grillard de la 9e Compagnie, frappé le 15 mai, et cinq officiers
blessés dont le capitaine adjudant-major Decourty et les capitaines noirs
Lapommeraye et Hypolite. Les pertes dans la troupe sont difficiles à évaluer
car dans le même temps le bataillon recevait de nouvelles recrues pour se
recompléter.
Gaëte tomba le 18 juillet 1806. Cependant, le roi Joseph avait apprécié la
valeur du bataillon des Pionniers noirs et demandé à le prendre au service
napolitain. La nouvelle armée napolitaine se formait difficilement et un
bataillon solide et bien encadré y était le bienvenu. Peut-être aussi
l’Empereur voulait-il se débarrasser d’une unité un peu trop particulière,
tout en aidant son frère. Quoiqu’il en soit, le 14 août 1806, les Pionniers
noirs passèrent au service de Naples à l’effectif de 47 officiers et 821
hommes de troupe. Dès septembre des détachements furent envoyés à la poursuite
de Fra Diavolo dans les rudes montagnes des Abruzzes, sous les ordres du major
Hugo, père du poète Victor Hugo. Ils connurent les gorges d’Acquafondata, que
la campagne de 1944 ramènera à la célébrité temporaire, et prirent part au
combat de Boiano, au pied du Matese, en octobre Hugo, dans ses Mémoires,
témoigne que les Noirs s’engagèrent » avec leur valeur habituelle » dans un
combat où, la pluie ayant mouillé la poudre, on se battit à coups de
baïonnettes, de crosses, de poignards et de poings. Fra Diavolo devait être
pris le 27 octobre et pendu à Naples. D’autres insurgés et brigands allaient
apprendre à connaître les soldats noirs que le menu peuple napolitain appelait
» I Mori « .
Le 10 novembre 1806, les Pionniers noirs prenaient le nom de Régiment Royal
Africain, mais, bien que prévus pour avoir deux bataillons, ils allaient
rester encore plusieurs années à un seul. Au 1er janvier 1807, ils ne
comptaient plus que 43 officiers et 560 hommes de troupe, ce qui trahit une
perte considérable de deux cent soixante hommes en six mois de campagne. Il ne
faut pas perdre de vue qu’à cette époque le séjour aux hôpitaux était huit
fois plus meurtrier que le champ de bataille proprement dit. Pourtant Royal
Africain n’allait pas pour cela cesser de faire la rude et décevante guerre de
montagne, entremêlée de combats classiques. En février 1807, un détachement se
signala à l’assaut d’Amantea où le capitaine Jacquemin fut blessé. Toujours en
Calabre, le 14 février, un autre détachement prit part à l’affaire de Scalea
où fut blessé le sous-lieutenant Lavenade. Le capitaine Ciolli fut blessé par
les brigands le 10 avril. La liste de toutes les escarmouches où se trouva le
corps serait insipide : les guérillas n’offrent qu’une suite d’actions
mineures, mais représentant des quantités de marches, de souffrances et de
déceptions pour bien peu de satisfactions. Cependant les pertes restaient
stationnaires : au 1er janvier 1808 Royal Africain comptait 563 hommes de
troupe et seulement 25 officiers. Il avait été largement pompé par le roi qui
avait besoin de cadres pour son armée. Le colonel Guyard estimait possible de
recruter à prix d’argent des gens de couleur dans les ports de mer du Royaume
et de l’Empire, afin de porter enfin le régiment à deux bataillons. En
attendant, le Ministre de la Guerre de France venait d’ordonner de muter à
Royal Africain un millier de Noirs assignés à résidence en Corse. Il
s’agissait des individus jugés dangereux en 1802 et envoyés au bagne
d’Ajaccio, puis encadrés en compagnies de travailleurs.
En réalité, ce renfort, considérable sur le papier, allait se dissoudre en
route par la maladie, la relégation des mauvais sujets et les multiples
lenteurs de l’administration. En septembre 1808, 109 recrues seulement étaient
arrivées au corps, qui dépassait à peine six cents hommes. Il y avait du
moins, toujours assidûment à la suite, un grand nombre d’officiers noirs qu’on
n’arrivait sans doute pas à placer ailleurs. En octobre un détachement de la
valeur d’une compagnie prit part à la prise de Capri, ou les Noirs se
conduisirent bien, à leur habitude. Mais au 1er janvier 1809, le corps était
tombé à 31 officiers et 424 hommes. Le roi Joachim n’ayant pas plus d’argent
que son prédécesseur n’était pas mieux en mesure de recruter contre espèces
sonnantes des nègres dans les ports. Au prix d’un nouvel effort, en
aiguillonnant l’administration de Corse, l’effectif monta à 581 en mai,
lorsqu’une malheureuse affaire vint faire perdre d’autres soldats noirs : le
26 juin 1809, au cours d’un engagement naval dans le Canal de Procida,
quarante-sept fusiliers de Royal Africain embarqués comme garnison des
canonnières furent noyés ou pris par les Anglo-Siciliens.
A partir de là Royal Africain en tant que régiment purement noir ne cessa de
décliner. Alors que le restant de l’Armée napolitaine se recrutait par la
conscription, les Noirs ne pouvaient recruter qu’à prix d’argent, et l’Etat
n’avait pas le sou. Le 1er janvier 1810, le régiment avait 31 officiers et 594
hommes de troupe, mais il n’y avait plus de nègres en Corse et le Trésor
napolitain était toujours désespérément en difficultés. C’est probablement ce
qui décida, dans le courant de 1810 le roi Joachim à transformer Royal
Africain en un régiment de ligne ordinaire qu’on pourrait alimenter par la
conscription napolitaine. Le décret du 17 décembre 1810 décidait qu’il serait
créé un 7e Régiment d’infanterie de ligne » dont le Bataillon Royal Africain
serait le noyau » et qui aurait trois bataillons.
Dès lors, le régiment d’Hommes noirs était mort et les recrues napolitaines
allaient dépasser en nombre les nègres dans les rangs. Au 1er janvier 1812, le
régiment comptait 2 347 hommes et 79 officiers, sur lesquels moins de quatre
cents Noirs. C’est sous cette forme qu’il allait s’illustrer une dernière fois
en Prusse au siège de Dantzig. Le corps avait alors abandonné l’habit brun
pour celui à fond blanc de l’infanterie napolitaine avec la distinctive jaune
paille. Le sergent Bourgogne raconte dans ses Mémoires comment il rencontra en
Prusse ses sapeurs, noirs pour la plupart, et coiffés d’un bonnet à poils
blanc. Plusieurs officiers noirs y servaient encore et un dessin allemand
contemporain nous montre l’un d’eux à Dantzig, en habit blanc à revers et
parements jaunes et coiffé du schako. A Dantzig le 2 septembre 1813 fut blessé
mortellement Froment qui avait emmené le détachement des Chasseurs africains
de Brest en 1803 et qui mourait, toujours capitaine, dix ans plus tard. Le
colonel Guyard avait quitté son commandement en 1811 ; on retrouve Deshorties
capitaine au 2e Vélites à pied de la Garde napolitaine en 1812, Loubiès
commandant la place de Monteleone en Calabre, Roucy au 2e Léger napolitain; le
capitaine noir Hypolite avait été aide de camp du général Compère en 1809.
Combien de Noirs des débuts revinrent-ils en 1814 des épreuves de Dantzig et
de la campagne d’Allemagne? Les archives ne le disent pas. Peut-être
quelques-uns restèrent-ils dans le royaume de Naples, même après le retour des
Bourbons, portiers de maisons nobles ou serviteurs de généraux retraités,
rêvant en tirant sur leur pipe des palmiers de Saint-Domingue, des champs de
canne à sucre, des embuscades de Calabre ou des neiges de la Prusse orientale?
Et les bambins dépenaillés des vicoli devaient regarder avec étonnement et
craintes noirs comme l’Erèbe, débris d’épopée, venus vieillir à tant de
milliers de lieux de leur terre natale, à l’ombre du Vésuve.
NOTE ANNEXE
II est au moins curieux de constater que le régiment » Royal Africain »
conserva longtemps après être passé au service napolitain un drapeau français.
Un rapport adressé le 29 janvier 1811 au Ministre de la Guerre et Marine de
Naples nous l’apprend : » Monsieur le colonel Macdonald commandant le régiment
Royal Africain, annonce que ce régiment conserve encore l’aigle français (sic)
; il prie Votre Excellence de lui dire si cet aigle ne doit pas être remplacé
par le drapeau de Sa Majesté?
Et le rédacteur de proposer : » Votre Excellence jugera sans doute à propos
d’écrire au colonel Macdonald qu’il n’y a pas de doute que le drapeau de Sa
Majesté doit être substitué à l’aigle que porte le Corps Royal Africain devenu
le noyau du 7e de ligne. » A quoi le Ministre répond : » Approuvé. Lui dire
que le Ministre donne des ordres pour que le drapeau lui soit remis… »
(Archivio di Stato di Napoli – Sezione Guerra e Marina. N° 1392. Note à la 2°
Division).
– Par ailleurs, une lettre de Macdonald, jointe à cette correspondance précise
que le 1er Bataillon du Corps a encore l’aigle des Pionniers noirs français,
qui lui fut remise par l’Empereur. Or, si l’on sait peu de choses précises sur
les drapeaux napolitains sous les rois Joseph et Joachim, on est toutefois à
peu près certain que les régiments de ligne eurent au moins dans l’été de 1810
des drapeaux nationaux, et l’on peut même penser que certains de ces régiments
eurent des emblèmes dès 1808. Royal Africain, étant alors, avec Royal Corse,
un corps étranger a pu être considéré comme un cas particulier et conserver,
en attendant une décision, l’aigle reçue à Mantoue, du modèle 1804 emblème
unique puisque le corps n’avait qu’un seul bataillon.
(1) N.D.L.R. – Sur la liste des militaires de l’Armée d’Italie auxquels le 21
brumaire an VI (11 novembre 1797) le général en chef Bonaparte a fait
attribuer un sabre d’honneur figure Hercule, capitaine des Guides à cheval.
Cf. » Les cent sabres de l’Armée d’Italie « , in Carnet de la Sabretache,
année 1936, p. 223.
Par ailleurs Frédéric Masson qui rapporte dans son ouvrage Cavaliers de
Napoléon la carrière militaire de ce singulier personnage mentionne que le
sabre d’honneur d’Hercule portait l’inscription gravée : » Pour avoir à la
tête de vingt-cinq Guides renversé une colonne autrichienne à la bataille
d’Arcole. » Cf. Frédéric MASSON, Cavaliers de Napoléon, Paris, 1906. p. 358 à
361.
Amicalement
Marc
Marc Morillon- inceptio
- Messages : 326
Date d'inscription : 04/05/2016
Age : 72
Localisation : Draguignan
Re: Troupes noires
merci
_________________
Par définition un historien se doit d'éclairer certaines zones d'ombres du passé. Ayant de droit accès à toutes les archives ouvertes, il s'appuie sur ses recherches pour délivrer ses résultats, quitte à briser quelques clichés.
Président de la S.E.H.R.I.
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